« L’Agence de l’eau sur le bassin de captage (Bac) d’Auger Saint-Vincent estimait le coût de dépollution agricole, urbaine et industrielle à 4 000 €/ha. L’Agence envisageait de convertir 2 000 hectares en agriculture biologique, voire d’exproprier si la situation ne s’améliorait pas ». Olivier Motte, agriculteur à Ormoy-Villers, plante le décor d’une situation qui l’a obligé à réagir. Avec dix céréaliers et betteraviers voisins, représentant 70 % de l’aire de captage, il crée en 2018 le GIEE Is’EAU (clin d’œil humoristique aux normes iso). Objectif : diminuer la pollution azotée et baisser les Indicateurs de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT).

Olivier Motte passe d’une rotation de quatre à neuf cultures. Au blé, à l’orge, aux pois et betteraves, il rajoute du colza, des féveroles, du tournesol, de la luzerne et du chanvre. Ces cultures à bas niveau d’intrants diminuent l’apport azoté et les IFT. Elles facilitent aussi la lutte contre les ray-grass résistants.

Pour cultiver du chanvre, le GIEE travaille avec Planète Chanvre, située à Aulnoy (77). Cette société privée créée par douze agriculteurs transforme 1 000 hectares de chanvre. Ses 80 agriculteurs partenaires produisent 5 000 tonnes de paille par an, dans un rayon de 25 km.

Une culture avec peu d’interventions

Le chanvre se sème fin avril, début mai sur une terre à 10-12 °C. La levée reste l’étape clé avec la récolte. « L’itinéraire technique est simple, se réjouit Olivier Motte. Nous semons au semoir à céréale à une profondeur de 2,5 cm et à une densité de 50 kg/ha. Le sillon doit être bien fermé. Si la graine voit le jour, la germination n’a pas lieu. À part une fertilisation de 120 unités d’azote, il n’y a rien à faire jusqu’à la récolte ». Un gel de -3°C détruit la plante. De même, la grêle la rend inexploitable. Corbeaux, pigeons et limaces peuvent aussi causer des dégâts.

En revanche, le chanvre est réputé insensible à la plupart des maladies virales, bactériennes et fongiques. Il peut se cultiver en limon argileux et aussi en terre de craie. Les terres fortes et à cailloux sont à éviter. Il lui faut un sol alcalin (pH autour de 8) et des sols riches en potasse. L’acidification autour des racines permettrait de remobiliser le phosphate bloqué, la potasse et l’oxalate de calcium, précise le producteur.

Pour la récolte des chanvres tardifs, destinés au textile, seule la paille se ramasse, après un rouissage au sol. Pour les précoces, la majeure partie, la paille et le grain se récoltent du 5 au 20 septembre. « Nous devons apporter le chènevis (grain) le jour même à l’usine, sinon il se dégrade », précise Olivier Motte. La paille est stockée chez les agriculteurs jusqu’à son traitement, avec une prime de stockage (0,75 €/t/mois) et de transport.

Un modèle économique à conforter

Pour leur première campagne en 2022, les agriculteurs du GIEE ont subi la sécheresse. « Avec seulement 15 à 20 mm d’eau, le chanvre n’a pas donné tout son potentiel. Mais il a été au bout de sa maturité », constate l’agriculteur. Il a gardé son pouvoir étouffant, empêchant le développement des chénopodes, chardons et ray-grass. L’effet nettoyant est indéniable et permet de diminuer les désherbants sur la rotation.

« Comme je me lance dans l’agriculture de conservation des sols, j’apprécie l’effet décompactant, avec des racines jusqu’à 3,5 mètres, contre 2,4 mètres pour le blé », ajoute le passionné. Plusieurs études indiqueraient un déplafonnement des rendements blés suivants de 3 à 5 q/ha.

Le chanvriculteur constate aussi un effet répulsif sur les sangliers et une biodiversité des insectes importante. De plus, ajoute-t-il, la séquestration du carbone est exceptionnelle, avec 15 t/CO2/ha, soit l’équivalent d’un hectare de forêt. Seul hic, et pas des moindres, la valorisation économique n’est pas encore suffisante.

Les agriculteurs du GIEE ont tout sous-traité (récolte, transport, stockage) et subi la sécheresse. « En 2022, j’ai récolté 7 t de paille et 860 kg de chènevis par hectare. Avec 350 €/ha de marge brute, j’ai travaillé quasiment à perte », reconnaît Olivier Motte, dont l’enthousiasme pour la culture de chanvre ne semble pas émoussé. Planète chanvre admet que la marge moyenne actuelle ne dépasse pas les 800 €/ha. L’augmentation prévue des surfaces et la mise en service d’une nouvelle unité industrielle devraient améliorer le modèle économique. Pour 2023, la firme revalorisera le prix de 20 €/t de chènevis et de 30 €/t de paille. Pour améliorer la rentabilité de la culture, les agriculteurs de l’Oise visent une production sur le bassin de captage de 100 ha. Ils misent sur une diminution notable des charges de récolte en passant en mode décomposé.