L’année 2018 a été un tournant pour les producteurs belges de pommes de terre. Jusqu’alors, les planteurs redoutaient les crises de surproduction et l’effondrement des cours qui en découlait.

« Il y a cinq ans, les planteurs ont été victimes des conditions de cultures très défavorables, relate Pierre Lebrun, coordinateur de la filière wallonne de la pomme de terre (Fiwap). La Belgique avait même été déclarée en calamité agricole sur tout son territoire ».

Pour les planteurs, les conséquences ont été catastrophiques. Les rendements de pommes de terre étaient faibles, les industriels ont été inflexibles. Ils avaient exigé que les planteurs honorent leurs contrats, les contraignant à acheter sur le marché libre les volumes manquants, ou à payer un dédommagement équivalent.

En fait, les contrats conclus entre les industriels et les planteurs n’identifient pas les risques majeurs qui peuvent survenir durant les campagnes de plantation.

Les industriels inflexibles

En 2018, les industriels ont pris d’énormes risques. Leur attitude a dissuadé certains planteurs de poursuivre leurs activités, alors que la filière de transformation a besoin, chaque année, de dizaines de milliers de tonnes de pommes de terre supplémentaires. Or, trouver de nouveaux planteurs pour remplacer ceux qui se retirent, n’est pas aisé.

Dans l’urgence, l’interprofession belge qui regroupe les producteurs de pommes de terre, les industriels, le commerce et la recherche, a poussé à un meilleur encadrement des contrats pour éviter que le scénario de 2018 ne se reproduise.

Les clauses des contrats mentionnent dorénavant des quantités maximales de pommes de terre par hectare à livrer, afin d’inciter les agriculteurs à cultiver une surface suffisante pour récolter, quoi qu’il advienne, les volumes de pommes de terre nécessaires pour honorer les contrats signés.

A cet effet, les industriels ont fourni aux planteurs les quantités de plants adéquates.

« Une nouvelle année 2018 mettrait en péril leurs usines car elles ont besoin d’être approvisionnées pour fonctionner », avertit Pierre Lebrun.

De plus, la filière de transformation est en plein essor. De nouvelles usines se construisent en Belgique mais aussi en France – à Dunkerque et à Arras – pour être au plus près des bassins de production.

En 2018, une réflexion de fond a été engagée pour mieux répartir le risque entre planteurs et industriels. Cela impose des règles de traçabilité et de transparence strictes auxquelles les planteurs belges n’étaient jusque-là pas habitués.

« Dorénavant, les planteurs localisent les parcelles qu’ils réservent pour remplir chacun des contrats souscrits et pour avoir les moyens d’identifier les problèmes rencontrés durant chaque campagne, explique Pierre Lebrun. Ils ont aussi les moyens d’évaluer les pertes de rendement potentielles ».

Réduire le risque climatique et agronomique

Pour réduire leur aversion au risque climatique et sanitaire, les cultivateurs doivent aussi diversifier les variétés de pommes de terre plantées. Aujourd’hui, Fontane occupe la place qu’avait Bintje il y a 15-20 ans. Mais les planteurs auraient intérêt à semer des variétés plus robustes à la sécheresse et plus résistantes aux aléas climatiques.

En Belgique, chaque fin d’année, les industriels proposent des contrats avec des prix établis en fonction des coûts de production estimés pour la prochaine campagne et en anticipant l’évolution de la conjoncture des autres productions agricoles (céréales, lin, betteraves etc.). La culture de pommes de terre doit être attractive pour être préférée à d’autres cultures.

Les industriels sont contraints de sécuriser leurs approvisionnements pour faire fonctionner leur outil industriel.

« En 2022, l’annonce d’une augmentation de 40 % des prix des contrats de pommes de terre a provoqué une onde de choc sur les marchés, se souvient Pierre Lebrun. Les propositions faites par les industriels belges ont conduit l’ensemble des industriels européens, et français notamment, à s’aligner sur leurs concurrents ».

La nouvelle conjoncture des marchés des céréales pourrait changer la donne à la fin de l’année. Toutefois, les prix des intrants restent très élevés et les usines ont besoin de tubercules pour fonctionner. Un nouvel équilibre devra être trouvé.

Quoi qu’il en soit, les industriels belges concentrent autant qu’ils le peuvent leur aire de collecte de pommes de terre autour de leurs usines pour ne pas ne pas avoir à chercher de nouveaux planteurs en France. Car les frais de transport pour acheminer les pommes de terre collectées jusqu’en Belgique sont très élévés.

Produire belge est une priorité même si la filière reste structurellement déficitaire. La Belgique transforme 6, 2 millions de tonnes (Mt) de tubercules par an, alors qu’elle n’en produit que 4 Mt. La balance commerciale est donc déficitaire de 2 Mt.

A l’avenir, les contrats de production des industriels devront être suffisamment généreux pour rendre la culture de pommes de terre attractive auprès des candidats à l’installation.

Pour ces nouveaux installés, des contrats conclus avec des industriels leur donnent la sécurité financière que leurs parents n’avaient pas au début de leur carrière. Ils commercialisaient la majorité de leurs productions sur le marché libre.

Si les planteurs en fin de carrière ont fait les investissements nécessaires sur leur exploitation pour stocker les pommes de terre, les jeunes installés seront tentés de poursuivre leur culture. Sinon, il leur sera difficile de financer la reprise de l’exploitation et d’investir en même temps.

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La production belge 2022 de pommes de terre en quelques chiffres

Rendement 43,2 t /ha en 2022 grâce au retour de la pluie à la fin de l’été. Le record de 55 t /ha en 2017 n’est pas près d’être battu, compte tenu des déficits pluviométriques.

Environ 10 % des surfaces sont irriguées. La superficie cultivée est de 92 355 ha. Environ 85 % de la production est dédiée à l’industrie. Production : 1,74 Mt en Wallonie et 1,96 Mt en Flandre.

Une diversité de contrats

Aujourd’hui, entre 65 % et 75 % de la production belge de pommes de terre est contractualisée.

Les contrats de pommes de terre conclus avec les industriels revêtent plusieurs formes. Ils portent sur des volumes, sur des superficies, sur des superficies avec un rendement maximum à ne pas dépasser etc.

En matière de prix, plusieurs options sont envisagées : prix fixe, prix mini – maxi, prix de base augmenté d’un pourcentage du prix sur le marché libre.

Les pommes de terre en surplus sont payées au prix du marché libre.

En frais, des contrats sont conclus avec la grande distribution ou avec des petits opérateurs. Une faible partie de la production est commercialisée en vente directe ou en circuit court.