L’attention à la biodiversité est une seconde nature pour Luc Delcourt, agriculteur à Vertain, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Cambrai. Observateur dans l’âme, il s’intéresse à la présence de la faune et de la flore sur son exploitation de 136 hectares, dont 36 ha de prairie permanente. « Je ne fais rien d’exceptionnel. Je recherche comme tout chef d’entreprise un optimum économique. Mais dès que je peux, je tente de favoriser la biodiversité », tempère l’exploitant.

Sa base : l’observation. Et pas que pour son élevage de 40 vaches allaitantes, naisseur-engraisseur. « Je ne traite jamais sans examiner la parcelle avant. Je regarde les prédateurs, mais aussi les auxiliaires de culture ». Sous les pièges à limaces, il compte les gastéropodes, mais aussi les carabes. Il n’hésite pas à laisser des espaces sans molluscicides pour préserver ces auxiliaires. Pour limiter les insecticides, il retarde la date de semis de son blé.

Il prélève aussi les pucerons dans les betteraves et les envoie à la société Bayer, qui analyse leur aptitude virulifère pour la jaunisse. « J’aime apprendre sur la nature et les équilibres possibles avec certains auxiliaires », confie-t-il. Sensibilisé sur ces sujets au cours de ses études au lycée agricole de Tilloy-les-Mofflaines, il aimerait que les agriculteurs et les futurs exploitants soient mieux formés sur ces questions.

Des actions en faveur de la biodiversité

Mais l’homme n’est ni moralisateur, ni donneur de leçons. Il aime agir sur son territoire, avec d’autres acteurs compétents. Lors d’un conseil municipal, des pêcheurs souhaitaient que la rivière Harpies, détournée pour passer dans l’ancien moulin de la ferme, retrouve son lit naturel. « J’ai accepté, à condition de n’avoir ni contraintes et ni coût supplémentaire ». Résultat, le ruisseau a retrouvé son lit d’origine. La truite fario et la lamproie de Planer peuvent de nouveau frayer. La fédération de pêche a aménagé des abreuvoirs, afin que ses bovins n’y pataugent plus. Elle a géré des plantations très diversifiées sur les berges. Les arbres comme le noisetier abritent des syrphes, des auxiliaires des cultures.

Président du Geda (groupe de développement agricole) « Pays’en action Cambresis », Luc Delcourt propose des formations sur la connaissance des auxiliaires. Le groupe a travaillé sur les couverts intermédiaires les plus intéressants pour la diversité des insectes, dont les pollinisateurs, avec une entomologiste de la chambre d’agriculture. Il a aussi étudié l’impact de la date de fauche des Zones de non traitement (ZNT). Un autre spécialiste a sensibilisé les adhérents sur la diminution des chouettes effraies. Et trente agriculteurs ont posé des nichoirs dans leurs fermes. Ils ont aussi appris à mettre de la boue humide à disposition des hirondelles lors de la construction de leur nid, dans un récipient si nécessaire.

Des projets intégrés aux territoires

Ce passionné a posé un nichoir pour les faucons crécerelles dans le site de méthanisation créé avec six autres éleveurs et mis en route ce mois-ci. « Notre méthaniseur injection gaz (270 nm3) a du sens au niveau territorial, estime le pragmatique chef d’entreprise. Il valorise les effluents d’élevage et les co-produits d’industries agro-alimentaires. Il évite aussi d’investir dans des aires de stockage d’effluents. Nous optimisons l’énergie renouvelable et avons recouvert les bâtiments du site de panneaux photovoltaïques ». Les éleveurs ont associé la communauté de communes du Solesmois au projet, dans une logique de territoire. Elle dispose d’actions dans le méthaniseur et apporte ses déchets verts.

Au conseil municipal, Luc Delcourt exprime sa sensibilité en gérant les plantations de la commune. « J’opte pour des plantes nourrissant les abeilles l’été ou hébergeant des auxiliaires des cultures ».

Cet homme d’apparence tranquille participe aussi aux PLUi (Plans locaux d’urbanisme intercommunal). « J’agis toujours de manière constructive, sans affrontement. Je rappelle la fonction première de l’agriculture : nourrir les hommes, ainsi que la nécessité d’avoir une activité rémunératrice. Je montre aussi les contraintes et limites de certaines décisions peu viables à long terme ou sans marché existant. Nous pouvons trouver des solutions qui avantagent tout le monde », plaide-t-il.

La transmission des savoirs

Ce fervent adepte d’une communication constructive fait partie du réseau de fermes pédagogiques « Savoir vert ». Il accueille plus de 20 classes par an. « J’aime voir les enfants étonnés et émerveillés, reconnaît-il. La plupart, même les ruraux, ignorent l’origine du sucre. Nous pouvons passer un vrai message, juste en montrant notre façon de travailler ». Il explique la provenance locale de la nourriture de ses vaches (herbe, paille, maïs et pulpes). Aux enfants, il rappelle que la vraie vie n’est pas sur internet, que le cycle naturel dure longtemps et demande des soins. Il fait le lien avec leur alimentation et le territoire de production. Il montre les nichoirs à mésange, les vieux pommiers hébergeant des chouettes chevêches et évoque les pigeons colombins. « Je leur explique que les agriculteurs participent au maintien de la biodiversité. Nous pouvons jouer un rôle avec des actions qui ne nous prennent pas beaucoup de temps. Ne laissons pas passer cette chance, véritable atout de communication », conclut-il.