L’agressivité commerciale de l’Ukraine, aux portes de l’Union européenne, et de la Russie, à la conquête de parts de marché à l’international, pèse sur les cours des grains à Rouen et à Bordeaux.

Les agriculteurs de ces pays sont les grands perdants de cette concurrence exacerbée sur les marchés céréaliers.

À Rouen, le prix de la tonne de blé oscille autour de 220 € depuis quinze jours et celui de la tonne de maïs est toujours sous la barre des 200 €. Les cours des grains sont inférieurs de plus de 50 € à leurs niveaux de 2021. Sortie de ferme, les prix sont imputés par des frais qui ont doublé en trois ans.

Depuis le début de la campagne, l’Ukraine a vendu à l’Union européenne près de 5 Mt de grains (1,9 Mt de blé, 2,5 Mt de maïs et 440 000 d’orges) sur les 11 Mt importées par les vingt-sept.

Mais produire des céréales en Ukraine n’est plus du tout rentable. Les prix de vente sortie de ferme ont été divisés par deux depuis 2021. Ils se sont alignés sur les cours pratiqués sur le marché ukrainien. Pour autant, les consommateurs n’en profitent pas. Leur pouvoir d’achat s’est effondré. Les prix de l’alimentation ont explosé.

Selon une entreprise de négoce, un céréalier perd en moyenne 160 € par hectare pour un rendement de 7,5 t (355 € pour une production de 6 t/ha). La culture de maïs ne devient bénéficiaire qu’au-delà d’une production de 12 t/ha. L’effet ciseau prix-charges a été accentué par la dévaluation de près de 50 % de la Hryvnia l’an passé, alors que les céréaliers ukrainiens ne peuvent compter sur aucun soutien public pour compenser leurs pertes.

À Buky, dans la région d’Uman, Yvan Melnyk et Oleksandr Pidlubniy s’en sortent mieux sur les 4 500 hectares qu’ils cultivent. Pour le blé, ils parviennent à équilibrer leurs charges céréalières (110 €/t). Bien qu’il se soit replié ces derniers mois, le prix du diesel demeure supérieur de 65 % à son niveau de 2021. Mais les salaires de ces ouvriers ont augmenté de 25 % en trois ans.

En fait, le fonctionnement des marchés des céréales échappe aux agriculteurs ukrainiens. À l’export, les négociants font peser sur les prix sortie de ferme les risques financiers encourus pour expédier les grains (primes d’assurance, transport, logistique etc.).

Mais que ce soit en Ukraine ou dans les autres pays exportateurs, le déséquilibre prix-charges n’est pas supportable dans la durée. La baisse des intrants esquisse un rééquilibrage. Toutefois, les pertes financières sont importantes. Même la Russie tente d’imposer un prix de vente à l’export, selon le site Sovecon.ru.

Sur les marchés, aucun signe de redressement des cours n’est encore perceptible. Dans son dernier rapport, l’USDA a réévalué à 1 220 millions de tonnes (Mt) la production mondiale de maïs (+ 6 Mt sur un mois, + 63 Mt sur un an). L’organisme américain anticipe même une hausse record des stocks de report mondial (315 Mt ; + 15 Mt) et étasunien notamment (58 Mt ; +23 Mt).

À l’échelle de leur exploitation, les céréaliers ukrainiens diversifient leurs cultures pour redresser leurs comptes. Mais les marges financières et agronomiques sont limitées. En trois ans de campagne, les bénéfices se sont effondrés quand ils ne se transforment pas en déficits. Et environ 20 % des salariés en âge de combattre sont mobilisés. Or, les remplacer est très compliqué.

A Buky, cinq postes restent vacants. Les rares candidats disponibles à l’embauche ne sont souvent pas formés aux métiers de l’agriculture et à la conduite d’engins équipés d’outils d’aide à la décision (OAD). Or, Yvan et Oleksandr projettent de se lancer dans la production de betteraves sucrières, bien plus rentable que le blé. Chaque hectare rapporterait 730 € de revenu. L’agriculteur accroîtra aussi la superficie d’oléoprotéagineux particulièrement rentables (jusqu’à 380 € de revenu par hectare de soja cette année). Mais il ne cultivera à peine plus de maïs que l’an passé (80 ha contre 458 ha en 2021) car la chrysomèle fait des ravages, aussi bien chez lui que chez ses voisins.