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Il existe un droit de douane sur les importations de blé, mais ce dernier passe inaperçu car l’Union européenne est exportatrice nette. L’Ukraine fait partie des seuls pays à exporter la céréale en Europe. En 2014, l’UE lui a accordé un contingent de 1 million de tonnes à droit nul, explique Cédric Benoist, secrétaire général adjoint de l’AGPB en charge des dossiers européens. Au-delà, ce pays devait théoriquement s’acquitter d’un droit de 92 à 98 € /tonne selon la qualité, droit qui s’est révélé inopérant car les importations étaient inférieures à 1 million de tonnes. Mais la guerre a changé les choses. L’Ukraine ayant des difficultés à exporter son blé vers l’est, elle l’a redirigée vers l’Europe, bénéficiant d’une exemption totale de droit de douane. Aujourd’hui, 500 000 à 600 000 tonnes arrivent en Europe chaque mois, affirme Cédric Benoist. L’AGPB demande donc un rétablissement de la barrière douanière prévue dans l’accord d’association de 2014. Même constat pour l’orge, dont l’association spécialisée demande le rétablissement de la taxe de 93 € /tonne, au-delà du contingent d’importation à droit nul qui s’élève à environ 300 000 tonnes.

Une protection douanière pour le maïs inopérante

À la différence du blé, l’Europe est déficitaire en maïs. Comme nous l’avions expliqué dans le numéro 1179, cette céréale bénéficie d’une protection douanière qui se déclenche si le cours du maïs descend en-dessous de 152 euros / tonne. Or, ce seuil est très bas et n’est presque jamais atteint. Il a été fixé en 1992 lors de la réforme de la PAC et n’a jamais été réévalué pour tenir compte des évolutions économiques, comme l’explique Arthur Boy, économiste à l’AGPM. Et si ce seuil venait à être atteint, un certain nombre de contingents permettraient de contourner les droits de douane. On peut donc dire que cette protection est quasiment inopérante. C’est pourquoi l’AGPM demande de « rénover le mécanisme de droits de douane relatifs au maïs » avec, notamment, une réhausse du seuil de déclenchement.

Attention aux importations de produits transformés

Pour comprendre les impacts des accords de libre-échange, il ne faut pas seulement se pencher sur les droits de douane protégeant les produits agricoles bruts. En effet, si les céréales évoluent sur un marché relativement libéralisé, ce n’est pas tout à fait le cas de leurs dérivées qui sont davantage protégées.

Par exemple, la semoulerie, l’amidonnerie, le bioéthanol, ou encore la viande qui est produite, entre autres, avec des céréales, sont soumis à un certain nombre de droits de douane. Et l’accord avec le Mercosur prévoit, par exemple, l’octroi d’un contingent à droit nul sur ces produits, pour un volume équivalent à 2,4 millions de tonnes de maïs transformé. Même constat avec la suppression des droits de douane sur les importations de poulets ukrainiens qui sont nourris, entre autres, avec du maïs.

L’éthanol (produit à partir de céréale et de betterave) bénéficie aussi d’une protection douanière, à différents niveaux en fonction des origines et des qualités : entre 10,2 €/hl et 19 €/hl. Par ailleurs, pour ce produit comme pour tous les autres, certains pays bénéficient d’un système de préférences tarifaires généralisées (SPG). Ils peuvent exporter leur éthanol vers notre continent avec des droits réduits ou nuls. C’est le cas en particulier du Pakistan, dont les exportations d’éthanol en direction de l’Europe ont explosé ces dernières années (+198 % entre 2021 et 2022). La Commission européenne, qui détient le pouvoir de mettre en oeuvre une clause de sauvegarde, dans le cadre de cet accord, a été avertie de cette situation mais le processus pour rectifier la situation est incroyablement long et fastidieux.

« Par ailleurs, l’augmentation significative des volumes d’éthanol exportés par le Canada en direction de l’Europe à droits nuls via l’accord sur Ceta interroge sur le fait que ce pays serve de transit à l’éthanol américain », affirme Vincent Guillot, le directeur environnement de la CGB.

À noter enfin que l’accord avec le Mercosur prévoit l’octroi d’un contingent d’importation de 200 000 t d’éthanol (soit environ 2,5 Mhl) à droits réduits de 2/3. Il concède aussi aux 4 pays sud-américains un autre contingent de 450 000 t d’éthanol, soit environ 5,7 Mhl, à utilisation exclusivement industrielle (carburant exclu), sans droits de douane.

Le problème des huiles usagées

Le marché européen des oléoprotéagineux est quant à lui totalement ouvert sur le marché mondial, et ceci depuis 1962, explique Claude Soudé, directeur adjoint de la Fop. En effet, dans le cadre du cycle de négociations international Dillon Round, les États-Unis ont accepté la création de la communauté économique européenne (CEE) et la politique agricole commune (PAC), en échange d’une exonération des importations européennes de graines de soja, de colza et de tournesol.

Si les oléopro sont maintenant coutumiers du marché ouvert, ils sont cependant impactés par la concurrence des huiles usagées utilisées en biodiesel. « Notre principale difficulté sur le marché européen des oléopro est liée à l’impact des importations de ces huiles », explique Claude Soudé. Ce n’est pas d’abord le prix qui est en cause mais la réglementation européenne qui leur accorde un avantage comparatif en valorisant 2 fois leur capacité théorique de réduction de GES. « L’incorporation des huiles usagées représente plus de la moitié du biodiesel incorporé en Allemagne », poursuit Claude Soudé en précisant que le marché allemand est orienté par la réduction des émissions de gaz à effet de serre annoncé, et pas par un volume de biocarburant à incorporer comme en France. « Par ailleurs, une partie de ces importations est suspectée être frauduleuse ».

D’autre part, il faut noter que les huiles de colza, de soja et de tournesol sont taxées à hauteur de 5,1 % environ (variable en fonction des origines et des usages). Mais l’accord d’association avec l’Ukraine de 2014 avait baissé ces droits de douane, et les mesures commerciales autonomes pour l’Ukraine les ont réduits momentanément à zéro.

Les tourteaux de colza et de tournesol sont dépourvus de droit de douane, alors que ceux de soja sont taxés à hauteur de 4,5%.

La betterave est une des cultures les mieux protégées

Selon le recueil « Faits et chiffres 2023″ édité par la CGB, les importations de sucre sont soumises à un droit de douane de 339 €/t pour le sucre brut (non raffiné) et de 419 €/t pour le sucre blanc. Cependant, le syndicat précise que de nombreuses exceptions douanières existent et, selon les besoins du marché, permettent que 10 à 20 % du sucre consommé sur l’Union soit importé sans droit d’entrée, notamment via trois types d’accords.

Tout d’abord, l’initiative européenne « tout sauf les Armes » vise à ouvrir nos marchés à une cinquantaine de pays considérés comme les moins avancés. Leur capacité d’exportation sans droit de douane n’est pas limitée en volume mais on observe qu’elle s’est située entre 0,5 et 2 Mt au cours des dernières années.

Ensuite, on peut noter l’existence de contingents d’importation à droit nul accordés dans le cadre d’accords bilatéraux, pour un volume total de 0,8 Mt. Enfin, depuis 2022, l’Europe a beaucoup plus largement ouvert ses portes au sucre ukrainien, au point que le volume pourrait atteindre 0,75 Mt pour la campagne 2023-2024, avec de lourdes conséquences sur le cours européen du sucre.

Par ailleurs, un certain nombre de pays tiers disposent aussi de droits réduits, dit CXL, (à 98 €/t) sur un total de 0,8 Mt. Ces volumes correspondent à des contingents accordés par certains pays européens avant leur intégration dans l’Union européenne.

On peut conclure que plus l’Union européenne est déficitaire, plus son sucre est protégé. D’où l’importance de limiter l’attribution de droits réduits ou nuls à l’Ukraine ou à d’autres pays.