La production européenne de maïs baisse et l’UE est de plus en plus dépendante des importations en provenance de pays tiers pour assurer ses besoins. C’est le cri d’alarme qu’a lancé Franck Laborde, le président de l’Association des producteurs de maïs en France (AGPM), le mardi 30 janvier à l’occasion d’une conférence de presse, au moment où les manifestations agricoles se multipliaient dans tout le pays. Et pour cause. En 2022/2023, l’UE est passée devant la Chine pour redevenir le premier importateur mondial de maïs, avec 26 millions de maïs importés. Cela représente 25 % de notre consommation, explique Franck Laborde. Et ce n’est pas fini : selon l’AGPM, on peut s’attendre à un doublement des importations de maïs brésilien au détriment de la production européenne à l’horizon 2030. « Environ 1 tonne sur 3 consommées dans l’UE serait alors importée », s’inquiète-t-elle. La célèbre céréale perd du terrain car elle baisse en compétitivité face au maïs extra-européen, en particulier celui provenant des pays du Mercosur (Brésil et Argentine) ou d’Ukraine. Le coût de production d’une tonne de maïs est 2 fois plus élevé en France qu’au Brésil (environ 200 euros vs environ 100 euros), a expliqué Franck Laborde. Cela s’explique entre autres par la différence de conditions de production.

De nombreuses distorsions de concurrence

« Au total, sur les 178 substances actives autorisées sur le maïs au Brésil et en Argentine, 92 sont interdites en Europe parce qu’elles sont considérées comme porteuses de risques pour la santé ou pour l’environnement », affirme une étude sur l’accord UE-Mercosur réalisé par l’AGPM. Ce chiffre s’élève à 138 si on considère les substances autorisées sur notre territoire national, en raison de la surtransposition franco-française. « Dit autrement, 77,5 % des substances actives autorisées pour les producteurs du Mercosur qui exportent leur maïs vers l’Union européenne sont interdites en France », précise l’étude. Parmi ces molécules, on peut retrouver les célèbres néonicotinoïdes, ainsi que l’atrazine. Et que dire du maïs d’Amérique du Sud, dont l’AGPM précise qu’il est, à plus de 95 %, issu de variétés transgéniques ?

Par ailleurs, alors que l’opinion publique semble vouloir maintenir les exploitations agricoles françaises à taille humaine, le syndicat des producteurs de maïs fait remarquer que « les plus grosses agro-holdings exportatrices du Mato Grosso (Brésil) font plus de 500 000 hectares, soit l’équivalent d’un département français ».

De manière analogue, le commerce avec l’Ukraine présente aussi des distorsions de concurrence, notamment sur les néonicotinoïdes qui sont autorisés pour la production du maïs.

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Une céréale sans protection douanière

Pourquoi ce maïs produit dans des conditions si différentes entre-t-il en compétition avec la production européenne ? Avant d’évoquer le Mercosur ou le conflit ukrainien, il faut préciser que le maïs, à la différence d’autres produits agricoles comme le sucre, ne bénéficie pas de protection douanière. Factuellement, des droits de douane existent mais ne se déclenchent que si le cours passe sous la barre des 152 euros, c’est-à-dire quasiment jamais, explique Arthur Boy, agro-économiste à l’AGPM. Ce seuil date de la réforme de la PAC (1992) et des accords de Marrakech (1994) et n’a pas été réévalué pour tenir compte de l’inflation et de l’évolution des coûts de production ou de la parité euro/dollars, précise-t-il. Et même quand les droits de douane se déclenchent, il existe un certain nombre de contingents d’importation à droit nul qui les rend inopérants. C’est pour cela que l’AGPM demande de « rénover le mécanisme de droits de douane relatifs au maïs » avec, notamment, une rehausse du seuil de déclenchement. Elle demande aussi que soit adoptées au niveau européen « des mesures miroirs visant à interdire l’importation de maïs ou de produits dérivés du maïs traités avec des substances actives interdites dans l’UE et considérées comme les plus toxiques, comme l’atrazine par exemple ». Selon le syndicat, cette démarche est autorisée par l’OMC, et existe pour les importations de bœuf aux hormones. Est-ce un vœu pieux ? Pas pour Franck Laborde, qui note une croissance de cette idée dans les couloirs de Bruxelles, tout en convenant qu’elle est pour l’instant peu mise en pratique.

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Un afflux de maïs ukrainien

Cette situation de distorsion de concurrence est aggravée par les mesures de soutien vis-à-vis de l’Ukraine, et pourrait l’être encore plus par l’accord commercial avec le Mercosur. Pourquoi ? La guerre en Ukraine a vu une redirection vers l’Europe du maïs historiquement exporté via la mer Noire et produit avec des coûts plus faibles, explique Arthur Boy. L’importance des volumes a tiré les prix des pays de l’Est vers le bas, avant de contaminer progressivement l’ouest de l’Europe. Par ailleurs, de grosses quantités de maïs sont aussi rentrées de manière transformée, via les importations de poulet ukrainien qui eux, bénéficiaient bien d’un droit de douane avant le début du conflit. Cela a déstabilisé la production de poulet français, et donc la consommation de maïs par ces élevages. Enfin, les mesures de soutien vis-à-vis de l’Ukraine l’exonèrent de droit de douane sur les exportations de blé fourrager. Or, à la différence du maïs, cette céréale bénéficiait avant le conflit d’une protection douanière et entre maintenant en compétition avec le maïs dans l’alimentation du bétail.

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Le Mercosur serait aussi très préjudiciable

L’accord commercial que L’UE envisage de passer avec le Mercosur risque aussi de tirer les cours du maïs vers le bas. Certes, ce maïs rentre déjà sans droit de douane (à condition que son prix soit supérieur à 152 euros/tonnes). Mais le contingent à droit nul d’1 million de tonnes prévu par l’accord pourrait rendre inopérante une hausse du prix d’intervention européen que l’AGPM envisage de demander, explique Arthur Boy. Par ailleurs, l’accord prévoit l’octroi d’un contingent à droit nul de 2,4 millions de tonnes de maïs transformé, sous forme de semoulerie, d’amidonnerie, de bioéthanol, ainsi que de poulet, des produits soumis aujourd’hui à des droits de douane. C’est pour cela que l’AGPM demande des clauses miroirs spécifiques sur cet accord, s’il venait à être signé et ratifié, précise l’agro-économiste. Parallèlement, le syndicat demande que le maïs soit compris dans le règlement européen relatif à la déforestation importée, alors qu’il en est exclu aujourd’hui.

Utiliser l’eau qui tombe du ciel

Parallèlement à ces demandes, l’AGPM soutient les 120 demandes que la FNSEA a adressées au gouvernement le 24 janvier. « Si je dois en retenir deux, c’est l’arrêt des surtranspositions et la demande qui concerne l’eau », précise Franck Laborde, en déplorant que le plan eau interdise l’augmentation des prélèvements en eau pour l’agriculture et que l’arrêté plan d’eau (juin 2021) limite très fortement le développement du stockage de l’eau hivernale. « Politiquement, on dit qu’il faut augmenter le stockage de l’eau, mais réglementairement, on le contraint très fortement », explique Sabine Batteguay, responsable environnement et production à l’AGPM. « Dans les territoires où il pleut, ne pas pouvoir récupérer l’eau qui ruisselle, qui descend dans les rivières et qui se retrouve deux jours après en mer, c’est-à-dire impropre à toute utilisation, c’est une aberration », explique l’agriculteur des Pyrénées-Atlantiques en précisant que sa ferme connaît une pluviométrie annuelle de 1 500 mm.

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