François Premier (1494-1547) vouait à la chasse, en général, et à la chasse à courre, en particulier, une telle passion qu’il décida de construire le château de Chambord au cœur d’un territoire particulièrement giboyeux. Il chevauchait, souvent en petit comité, avec des gentilshommes et des dames, qui formaient ce qu’il appelait « sa petite bande ». Notons que si les ambitieux travaux de Chambord accompagnèrent son règne, il ne vit pourtant jamais sa somptueuse résidence achevée. La construction du gros œuvre perdura sous le règne d’Henri II, son fils, jusqu’en 1560.
« Père des veneurs », François 1er consacre à la chasse une importante partie de son règne. Intrépide et doté d’une force peu commune, il poursuit cerfs et sangliers avec une frénésie qui impressionne les chroniqueurs. Le roi chasse en toute saison et loge volontiers chez ses sujets si les péripéties du laisser-courre l’exigent. L’un de ses maitres en vénerie le félicite : « vous avez accoustumé de faire tout devoir de bon veneur, en courant de vitesse incroyable par longs espaces et contre les tours du cerf rusé et expérimenté, trouvant promptement des destours. Finalement en traversant forests, taillis, précipices, buissons, mettez seulement le bras devant le visage et les yeux, pour vous garder des branches. » Un conseil prémonitoire. Il eut un jour un œil sévèrement abîmé par un rameau.
Chez le braconnier
Il aime tellement chasser qu’un jour, en déplacement du côté de Lyon, il se perd dans les bois. A la nuit, il frappe à la porte d’une cabane de branchages. Un homme hirsute lui ouvre et, pensant héberger un seigneur perdu dans la forêt, lui offre l’hospitalité. Le roi a faim. Il demande de la viande de chasse. L’homme répond qu’il n’a pas le droit de chasser … mais qu’il braconne et qu’il peut lui servir un morceau de chevreuil. Le roi accepte avec plaisir. Quand au petit jour son équipage finit par le retrouver, le braconnier, réalisant qu’il a reçu le souverain, et avoué le crime de braconnage, se croit perdu. A l’époque, on ne plaisantait pas avec ce délit, parfois puni de mort. Mais François éclate d’un rire énorme, lui dit qu’il a bonne figure, qu’il a passé un excellent moment, et que, pour le remercier, il lui accorde le droit de chasse. À lui et à tous ses descendants !
Mais revenons à Chambord. La chasse faisait vivre cette grande demeure. Au départ, le matin, quel bruit, quelle animation ! Les chiens au couple derrière les piqueurs, les faucons couverts de leurs chaperons sur le poing des fauconniers, les veneurs vêtus de vert, de rouge ou de gris, munis de l’épée et du couteau, l’épieu à la main. Suivent les dames montées sur leurs haquenées * de Bretagne, aux riches harnachements de velours, le chapeau garni de plumes, portant des bottines rouges de cuir damasquiné et des cottes agrafées plus haut que le genou. On entend les joyeux appels de la trompe, conviant au rendez-vous tous les retardataires. Puis, si la chasse a été heureuse, c’est la curée froide aux flambeaux dans la vaste cour, le valet au milieu de la meute, maintenant les chiens sous son fouet, et, tout autour, les veneurs, la trompe aux lèvres, pour, au signal donné, « sonner fort et réjouir les chiens aboyant et hurlant. »
Voilà ce qui faisait battre le cœur de François 1er et de tous les hommes de guerre.
Au corps à corps
Brave, il l’était et savait le montrer. Un jour, il décide de combattre un sanglier au corps à corps. Il fait capturer un sujet de quatre ans que l’on enferme dans un coffre. Il fait ensuite construire une sorte d’arène dans la cour du château, demande à sa « petite bande » de venir au spectacle et annonce qu’il va faire libérer l’animal et l’affronter à l’arme blanche. Les dames se récrient tant et si bien qu’il doit renoncer. On place donc des mannequins pour voir la façon dont la bête va les éventrer. Le coffre est ouvert et le sanglier se rue dessus … mais aussi sur la palissade qu’il met bientôt en pièces arrivant jusqu’à l’estrade où se trouve le roi. François ne se démonte pas, sort l’épée et, au moment où l’animal l’atteint, la plonge dans son poitrail. Le quartanier titube et va s’effondrer quelques mètres plus loin tandis que, sous les clameurs, le souverain salue l’assistance.
À un gentilhomme qui lui reprochait d’avoir chassé l’hiver par un froid trop rude, il répondit : « Par ma foi, c’est la chasse qui m’a guéri ! »
A ceux qui le voulaient retenir, il disait : « Que vieux et malade il se ferait porter à la chasse et que peut-être mort il voudrait y aller dans un cercueil. » Lorsqu’il se sentit pris du mal qui devait l’emporter, il voulut échapper à la mort en redoublant d’ardeur. Il chasse successivement à Saint-Germain, Muette, Villepreux, Dampierre, Loches. Il revoit tous les lieux qu’il a aimés, toutes les forêts où se joua sa jeunesse. Mais rien n’y fait. Il tombe épuisé à Rambouillet pour ne plus se relever.
Chambord porte toujours la chasse haut et fort. On y a longtemps organisé le Game Fair. Et la réserve présidentielle (plus de 5 000 hectares clos de murs) sert aujourd’hui de cadre à des battues « de régulation » où les tableaux de sangliers sont somptueux. À chaque échelon de notre République, du Conseil Général aux ministères en passant par le corps diplomatique, les mairies et les fédérations de chasseurs, chacun espère, secrètement, recevoir un jour le précieux sésame. Mais s’il y a beaucoup d’espoirs il y a peu d’élus…
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* Haquenée : cheval ou jument d’allure et de comportement tranquille.