« Les pertes directes et indirectes liées à une mauvaise conservation peuvent atteindre 10 % du volume initial », selon Arvalis. « Non seulement à cause des insectes, mais aussi de la respiration du grain, des moisissures et des freintes lors des triages curatifs ».
« Stocker, c’est aussi protéger son autonomie décisionnelle », déclare Vivien Renaume, technico-commercial chez TPLG. Le grain livré trop tôt ou trop chaud peut entraîner des réfactions, voire des déclassements, alors qu’un stockage maîtrisé offre une marge de manœuvre bienvenue pour attendre une meilleure fenêtre commerciale. Pour Jean-François Fontaine, propriétaire de l’entreprise Fontaine Silo, le stockage permet avant tout « de beaucoup mieux valoriser ses céréales et de garder un grain de qualité » ; il ajoute cependant que « le stockage est un choix personnel : certains livrent tout de suite, d’autres préfèrent stocker pour eux-mêmes ».
Choisir son stockage : un système complet
Pour stocker, les exploitations jonglent entre deux grandes familles d’équipements : les cellules d’un côté, et le stockage à plat de l’autre, chacun apportant une manière différente de gérer l’air, les volumes et la circulation du grain. Les cellules, très répandues, s’appuient le plus souvent sur des structures métalliques, dont la réaction rapide aux variations de température impose une ventilation précise et bien dimensionnée. Le stockage à plat, lui, repose sur des bâtiments en dur ou en béton, où l’inertie thermique est plus forte et les variations plus lentes, à condition de maintenir des parois parfaitement propres, surtout lors des stockages longs.
Vivien Reneaume, rappelle que l’ensemble doit fonctionner comme un système cohérent : « c’est l’installation dans sa globalité qui fait la qualité du stockage, pas seulement le choix du matériau ».
Les gaines souples et les solutions hermétiques, comme les big-bags sous CO₂, arrivent doucement dans les fermes. Elles ne remplacent pas un silo, mais elles sont utiles pour les lots sensibles, les semences ou les petites quantités. Arvalis note que ces systèmes « assurent 100 % de mortalité des insectes adultes en deux jours », ce qui en fait une solution simple et sûre pour éviter une infestation sur un lot à forte valeur.
Enfin, les ventilateurs, souvent considérés comme un détail, sont en réalité la pièce maîtresse du système. Leur débit, leur emplacement et la façon dont l’air circule dans le tas déterminent la vitesse de refroidissement. « Ce qui est très important, c’est de bien dimensionner la ventilation », prévient Jean- François Fontaine, mettant en garde contre des ventilations mal calculées, qui risquent de ruiner l’efficacité du refroidissement. Un silo rempli en cône ventile mal au centre, là où démarrent la plupart des échauffements. Arvalis le rappelle : un éparpilleur peut « diviser par deux le temps de refroidissement » en homogénéisant la masse.
Comment stocker : la méthode, plus que la machine
Le matériel compte, mais la méthode plus encore. La première règle est la propreté : un silo mal nettoyé est un silo déjà infesté. La poussière accumulée dans un pied d’élévateur, une vieille couche de grain sous un tapis ou quelques litres oubliés dans une goulotte suffisent à abriter plusieurs générations d’insectes.
Arvalis rapporte que, dans son enquête menée sur 148 exploitations, « trois stockages sur quatre hébergent des insectes » et que près de la moitié des agriculteurs ignoraient leur présence. Avant même d’entrer au silo, le grain doit être propre. Les nettoyeurs-séparateurs retirent les brisures, poussières et graines d’adventices. Dans les situations de contamination, une table densimétrique ou un trieur optique peut faire la différence. L’Inrae rappelle que « la qualité sanitaire d’un lot se construit dès l’entrée au silo, et toute dérive initiale se paie ensuite sur l’ensemble de la chaîne de transformation ».
Deuxième règle : refroidir vite et correctement. « C’est obligatoire parce qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’insecticide sur le marché », rappelle Yann Bréan, dirigeant de Ventil’ta récolte. Tant que le grain reste au-dessus de 18–20 °C, les insectes se développent à vive allure. En dessous de 12–13 °C, ils arrêtent presque toute activité. C’est donc la course contre la montre. Un pilotage automatique de la ventilation, basé sur le différentiel entre température de l’air et température du grain, permet d’utiliser les bonnes fenêtres météo sans gaspiller d’électricité. Le Cirad souligne d’ailleurs que ce pilotage « réduit nettement les heures de fonctionnement nécessaires ».
Troisième règle : surveiller. La thermométrie est aussi importante que la ventilation elle-même. « Si vous ventilez, mais que vous ne savez pas si vous êtes arrivé à 20 °C ou à 5 °C, vous agissez dans l’ignorance », explique Yann Bréan, rappelant qu’un suivi précis est indispensable pour une conservation efficace. Une hausse brutale, même de 1 °C, peut indiquer le début d’un foyer d’insectes. Les tamisages réguliers et le piégeage complètent le tableau. Comme le dit Arvalis, « le tamisage classique reste l’outil le plus fiable, la difficulté est surtout de prélever au bon endroit ».
Réagir face aux nuisibles et aux moisissures
« Les insectes et champignons n’arrivent pas du champ, ils sont déjà là, dans les poussières et les parois » résume Arvalis. Autrement dit : si le silo n’est pas propre et si le grain n’est pas refroidi rapidement, la dégradation commence dès l’entrée.
Les insectes restent la première cause de perte en silo. Les charançons et les capucins attaquent le grain entier. Les silvains et triboliums se contentent des poussières et brisures, mais chauffent la masse. Une fois installés, ils progressent vite et créent des « poches chaudes », premières étapes d’une dégradation plus large. L’Inrae rappelle que « la vitesse d’échauffement peut atteindre un degré par jour », ce qui suffit à lancer une spirale de problèmes.
La prévention passe d’abord par le refroidissement. Ensuite viennent les solutions physiques : refroidissements répétés, nettoyages réguliers, aspiration des poussières, hygiène des pieds d’élévateurs. La fumigation à la phosphine reste la méthode chimique la plus répandue. L’Inrae rappelle toutefois qu’elle « n’est pleinement efficace qu’au-dessus de 15 °C et sur des durées longues », ce qui exige un pilotage précis et une parfaite étanchéité. Malgré la montée des résistances à l’international, la France conserve une efficacité satisfaisante, à condition de respecter les bonnes pratiques.
La lutte biologique gagne du terrain dans les essais. Les mini-guêpes parasitoïdes fonctionnent bien lorsque la température s’y prête. La confusion sexuelle pour les teignes est également en plein développement : en saturant l’air en phéromones, on limite les accouplements et on ralentit la dynamique de population. Arvalis observe des baisses de captures allant « jusqu’à 98 % » dans certaines conditions. Reste à savoir comment ces méthodes seront applicables dans les exploitations.
Les champignons et mycotoxines sont l’autre menace. Contrairement aux insectes, ils ne se voient pas toujours tout de suite, mais leurs conséquences sont parfois plus graves. Leur développement est étroitement lié à l’humidité et à la température. Ventiler, nettoyer, trier, et surtout éviter les zones humides ou mal aérées reste la meilleure protection.
Avec le réchauffement climatique, la situation se complique. Les analyses d’Arvalis montrent que les fenêtres climatiques favorables au refroidissement ont « diminué de 11 à 31 % en quarante ans ». En clair : on dispose de moins de nuits froides pour ventiler efficacement. Cela oblige à être plus réactif, mieux équipé, et plus vigilant pendant les périodes chaudes.
- Nettoyer le silo et les équipements avant chaque récolte pour éviter poussières et brisures.
- Stocker des grains propres et secs, triés et à bonne humidité.
- Ventiler dès l’entrée pour refroidir le grain et éviter les échauffements.
- Surveiller régulièrement la température et l’humidité du grain.
- Remplir les silos uniformément et utiliser des éparpilleurs pour que l’air circule partout.
- Contrôler visuellement le grain et les installations chaque semaine au début du stockage.
- Maintenir les élévateurs et convoyeurs propres pour limiter les insectes et moisissures.
- Limiter les produits chimiques : propreté et ventilation suffisent souvent.
- Compléter si besoin avec stockage hermétique ou refroidissement pour les lots sensibles.
- Suivre les conseils de recherche et adapter selon la météo et la qualité du grain.





