Acteur dans les trilogues avec la Commission et le Conseil des ministres des états membres, le Parlement – seule institution de l’UE élue directement par les citoyens – est incontournable pour adopter la grande majorité des lois européennes. Actuellement, les députés européens montent au créneau sur plusieurs sujets.

PAC : toujours un risque de renationalisation

L’adoption du budget de l’UE est une prérogative que le Parlement détient avec le Conseil. Or, le Parlement européen mène un bras de fer avec la Commission sur le projet de budget de l’UE pour 2028-2034 pour sanctuariser la PAC et les aides à la cohésion. En effet, dans son projet de budget présenté cet été, la Commission propose que les aides aux agriculteurs, et celles dédiées aux régions (actuellement réparties dans plusieurs fonds de cohésion) soient intégrées à des Partenariats nationaux et régionaux (NRP), c’est-à-dire un fonds unique dont l’utilisation serait laissée à l’appréciation des états membres.

Les quatre groupes dits proeuropéens (PPE, sociaux-démocrates, Renew et les Verts), qui forment ensemble une large majorité, ont voulu faire reculer la Commission sur cette mesure, qui accentuerait la renationalisation de la PAC, en autorisant des approches « à la carte » et donc des distorsions de concurrence.

L’eurodéputé roumain co-rapporteur chargé du budget, Siegfried Muresan (PPE), estime que la proposition de la Commission, en fusionnant les deux piliers et en donnant un rôle plus important aux états membres « affaiblit la PAC » et donne « moins de prévisibilité ».

La pression du Parlement a payé, puisque la Commission a présenté le 10 novembre une liste de modifications, notamment un fonds dédié à un « objectif rural » et le renforcement du rôle des régions… « Au montant minimal de la PAC de 300 milliards d’euros, la Commission propose d’ajouter un objectif rural transversal de minimum 10 % des 750 M€ de fonds des plans de partenariats nationaux et régionaux. Et aussi 50 Md€ pour le développement rural : cela restaure le second pilier », se félicite Siegfried Muresan.

Le risque de rejet du budget a donc été évité, mais la future PAC est-elle vraiment renforcée ? Beaucoup restent dubitatifs, comme le vice-président de la Commission de l’agriculture, le Français Éric Sargiacom (S&D) qui estime qu’il « n’y a pas grand-chose de neuf dans la nouvelle proposition de la Commission. Il s’agit davantage d’une explication complémentaire ». Et Jérémy Decerle (Renew) de regretter que la PAC soit « maintenue dans un fonds unique et son budget toujours en baisse de près de 20 %. »

Révision de l’OCM : le Parlement propose de renforcer la rémunération des agriculteurs

Les eurodéputés ont aussi été à la manœuvre pour améliorer l’Organisation Commune des Marchés (OCM). Ils ont adopté, le 8 octobre, un texte présenté par Céline Imart (PPE) qui devrait renforcer la rémunération et le pouvoir de négociation des agriculteurs. La CGB s’est d’ailleurs félicitée que le sucre puisse bénéficier de l’intervention publique (voir BF 1207 p 8). Les trilogues avec le Conseil et la Commission viennent de débuter. En cas d’accord, la prochaine PAC pourrait mieux protéger les agriculteurs des fluctuations du marché.

NGT : le Parlement veut une traçabilité

Les nouvelles techniques génomiques (NGT) sont aussi un sujet de discussion en trilogues, notamment sur la brevetabilité, la traçabilité et les critères de durabilité. Si sur la PAC et le Mercosur, le Parlement est en phase avec les syndicats agricoles majoritaires, il est plus réticent sur les NGT : il veut une traçabilité et un étiquetage jusqu’au consommateur.

Mercosur : le mécanisme « de rééquilibrage » est une bombe à retardement

Comme pour tous les accords commerciaux, l’accord avec le Mercosur, conclu par la Commission en décembre 2024, doit être ratifié par le Parlement européen et le Conseil avant de pouvoir entrer en vigueur. Les eurodéputés peuvent-ils être le dernier rempart contre cet accord, qui donne des sueurs froides au monde agricole ?

En tout cas, 145 eurodéputés souhaitent solliciter un avis juridique de la Cour de Justice de l’UE sur la compatibilité de l’accord avec les traités européens. Il faut réunir une majorité de députés : les Français, les Irlandais, les Polonais, les Belges et les Roumains sont les plus à la pointe sur ce sujet. « La résolution pourrait être votée en séance plénière fin novembre », estime Majdouline Sbai (les Verts). « Si on gagne ce vote, la ratification sera bloquée en attendant l’avis de la Cour », ajoute l’eurodéputée belge Saskia Bricmont (Les Verts). C’est notre dernière carte pour bloquer cet accord ».

Outre le risque de concurrence déloyale largement exposé depuis des années, on vient de découvrir que l’accord Mercosur introduit un mécanisme dit « de rééquilibrage » qui permet à l’une des parties signataires de demander une compensation si une mesure prise par l’autre partie « affecte défavorablement le commerce ».

« Par exemple, si l’UE décidait d’interdire l’importation de produits agricoles traités avec des néonicotinoïdes, le Brésil serait en droit de demander des compensations financières. Là, on met le doigt dans quelque chose d’inacceptable », s’étrangle Pascal Canfin (Renew), cette disposition est une « bombe à retardement » qui « sape » la souveraineté de l’UE. Elle risque également de dissuader l’UE de tenir une promesse de longue date auprès de ses agriculteurs : instaurer des mesures miroirs, c’est-à-dire conditionner l’accès au marché européen au respect de normes en matière de durabilité ou de santé.

Ce mécanisme pourrait en outre créer un précédent. Alors que des accords bilatéraux sont en train d’être négociés avec l’Inde ou la Malaisie, « ces deux pays commencent à en parler », ajoute Pascal Canfin. On ouvre une boîte de Pandore !