En pleine pandémie, la filière française de la pomme de terre a démontré capacité à se mobiliser. Les interprofessions CNIPT (Comité national interprofessionnel de la pomme de terre) et GIPT (Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre) ont en effet décroché rapidement une aide d’urgence de 10 M€ du ministère de l’Agriculture, ce n’était pas gagné d’avance.

Dès l’attribution de cette enveloppe de 10 M€, les professionnels se sont très vite organisés. « Certes, le gouvernement français a été long à réagir à nos demandes face à la crise qui touchait de plein fouet le secteur industriel, mais nous nous réjouissons qu’il ait pris la mesure de cette crise et sommes satisfaits qu’il ait répondu à notre demande », souligne Arnaud Delacour, ancien président de l’UNPT (Union nationale des producteurs de pommes de terre), qui a passé le relais à Geoffroy d’Évry le 23 juin dernier. Le nouveau président devra cependant s’assurer que ces 10 M€ seront bien débloqués, car ce n’était toujours pas le cas début septembre.

Car à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles !

La Commission européenne a activé le plan de gestion de crise le 22 avril 2020. L’article 222 du règlement 1308/2013 prévoit en effet des dispositions spécifiques durant les périodes de déséquilibres graves sur les marchés en permettant de déroger au droit de la concurrence. « Ce qui a permis aux industriels transformateurs dans le cadre du CNIPT et du GIPT de s’entendre et de discuter de la meilleure façon de retirer des produits du circuit sans enfreindre la loi », explique Bertrand Ouillon, directeur du GIPT. En tout cas, « la crise covid a démontré que les producteurs étaient totalement liés aux marchés », ajoute Bertrand Achte, président du Gappi (Groupement d’agriculteurs producteurs de pommes de terre pour l’industrie McCain).

Quelle éligibilité de l’aide ?

Initialement évalué à 450 000 t, le stock a été réévalué quelques semaines plus tard à 200 000 t environ. C’est ainsi que les 10 M€ tiennent compte des 80 000 à 90 000 t que McCain a expédiées vers l’alimentation animale (ce qui représente le dixième des approvisionnements annuels de ses usines) et de quelque 100 000 t plus ou moins faciles à tracer : des tonnages restant dans des hangars, des usines qui ont transformé plus de tonnages que prévu, des tonnages dégagés par des producteurs directement ou des tonnages partis vers des marchés à l’export ?

Au 1er juillet se posait toujours la question de l’éligibilité de l’aide. Qui sera destinataire : le producteur, le groupement de producteurs ou l’industriel ? Y aura-t-il rétroactivité au début de la crise ou à la notification de l’aide ?

Pour Bertrand Achte, « si l’État ne trouve pas une solution dans ses modalités d’attribution des 10 M€, cela remettra en cause les contrats 2021-2022 et brisera la confiance qui s’était instaurée ». Pour lui, « toute pomme de terre (notamment industrielle) qui a été dégagée à l’alimentation animale, à la méthanisation ou expédiée sous forme de dons depuis le confinement doit être éligible à l’aide de l’État. »

Des leçons à tirer

Quelles leçons peut-on tirer de cet épisode covid ? Sur un marché en croissance de 4 à 5 % par an, cette crise a conduit les industriels européens à prendre des décisions rapides dans un contexte sanitaire en perpétuelle évolution, les obligeant à adopter des stratégies différentes et à gérer la marche des usines pays par pays et semaine par semaine.

L’impact de la crise n’a pas été identique suivant le positionnement de l’entreprise sur les marchés (grandes et moyennes surfaces, restauration hors domicile, restauration rapide, export…). Alain Dequeker, président des livreurs à Aviko, rappelle « qu’en Europe, sur dix frites consommées, sept le sont en RHF [restauration hors foyer, ndlr] et trois en magasins ».

L’impact de la covid a donc été moindre chez un industriel fournissant presque exclusivement les GMS (comme Clarebout ou Agristo) que chez ceux qui livrent la RHF et la restauration rapide comme McCain, Aviko, ou Mydibel. Il a été également différent selon le poids des contrats dans leurs approvisionnements.

Des interprofessions qui se parlent

Les groupements de producteurs français (Gappi et livreurs à Aviko) ont été un élément déterminant dans les discussions, l’organisation des dégagements et la gestion avec les industriels. « Ils ont été notamment très vite rassurés sur l’application des contrats par les industriels », souligne Bertrand Achte qui rappelle que les producteurs craignaient l’application du cas de force majeure par les industriels.

Pour Arnaud Delacour, « on s’est aperçu qu’une interprofession qui se parle permet une réactivité face au gouvernement en lui apportant notamment des arguments chiffrés ». Et d’ajouter que le GIPT avait fait preuve d’excellence dans le domaine.

De son côté Bertrand Achte, rappelant le rôle du CNIPT pour la représentation des producteurs livrant leurs pommes de terre aux industriels étrangers, renchérit : « S’il n’y avait pas eu de garde-fous, il n’y aurait pas eu de position commune, on aurait été à des solutions au cas par cas avec le danger d’un non-respect des contrats. »

À l’avenir, il conviendra sûrement d’imaginer de nouveaux mécanismes d’indemnisation pour les schémas d’approvisionnement des réseaux de solidarité comme La Croix-Rouge, les Restos du cœur, la Banque alimentaire… Que ces dons soient au moins déductibles !