L’arrière-grand-père normand avait développé un élevage de moutons dans l’Aisne. Et depuis, la famille Lécuyer perpétue l’élevage ovin. En 2015, Alexandre poursuit la tradition en s’installant. Auparavant, cet ingénieur agricole très curieux a enchaîné les expériences pouvant lui être utiles : directeur d’Elvea Hauts-de-France (association d’éleveurs), puis marchand de laine. « Je travaillais avec plus de 600 éleveurs ovins. Ils m’ont beaucoup appris », reconnaît-il.

Il débute avec 100 brebis sur 8 hectares à Monceau-le-Neuf comme double actif. Il reprendra la partie grandes cultures exploitée par son père ultérieurement. Aujourd’hui à plein temps, il élève 250 brebis et 15 vaches allaitantes. « Je me considère presque comme un berger sans terre », sourit-il. Pour nourrir ses animaux, il passe des accords avec des agriculteurs locaux. Certains ont des prairies, mais n’ont plus de bétail. D’autres disposent de chaumes ou de cipan (cultures intermédiaires pièges à nitrates) à broyer. Les mises à disposition sont gratuites, sauf pour quelques ventes d’herbe. « J’ai des accords avec neuf agriculteurs, détaille le berger, soit une centaine d’hectares de colza et 200 ha de repousse de couverts. Parmi eux, sept travaillent en techniques culturales simplifiées. Ils apprécient la transformation de la matière organique par les moutons ».

Le travail d’un rouleau

Dans les couverts, le troupeau fait le travail d’un rouleau. Le pâturage réduit la végétation sans la détruire. Il laisse les racines continuer leur structuration du sol. « Les animaux transforment la matière verte en déjection, matière organique beaucoup plus facilement assimilable, souvent en quelques mois », se réjouit l’éleveur. Les déjections animales favorisent aussi la vie du sol. L’un des agriculteurs mettant à disposition ses parcelles a même affirmé avoir déplafonné les rendements d’un blé de colza grâce à cet éco-pâturage. Autre fait noté ; les repousses de colza repartent plus facilement. Au final, plus de matière sèche retourne dans le champ via les déjections. Enfin, le travail effectué par les pattes écrase les galeries de mulots. « Et puis », rajoute le jeune agriculteur, « les brebis mangent les limaces et leurs œufs ».

« Je ne fais que perpétuer une pratique historiquement très répandue dans les plaines », rappelle le berger. « Les anciens savaient qu’elle présentait des intérêts certains en termes de recyclage de biomasse, de vie du sol, de destruction des couverts et de fertilisation des parcelles ».

Jusqu’à 20 km en une journée

Les moutons commencent généralement leur parcours par les repousses de colza, puis celles d’orge. Ils continuent par les Cipan. « Pour les surfaces d’intérêt écologique (SIE), la législation reste ambiguë quant à la date possible de pâturage », regrette le jeune berger. « La destruction est proscrite pendant deux mois, mais le pâturage ne détruit pas les plantes », argumente-t-il. Les ovins passent ainsi dans les champs jusqu’au semis de printemps. L’année dernière, les brebis ont pâturé jusqu’à fin janvier, date de leur entrée en bergerie. Pour optimiser ses parcours pastoraux, il a changé son système et fait agneler les brebis en août. Ainsi, mères et agneaux bénéficient des couverts naturels.

L’éleveur nomade s’est professionnalisé. Avec son quad, il installe très rapidement sa clôture électrique, une technique venue de Nouvelle-Zélande. Les brebis sont déplacées à pied, avec une à trois personnes et les chiens de troupeau. Elles peuvent parcourir jusque 20 km par jour, à 4 km/h. Pour garder le troupeau, l’éleveur a choisi deux chiens Patou. Ainsi, il n’a subi aucun vol. Généralement, le berger n’apporte pas d’eau, celle contenue dans les végétaux suffit : « historiquement, les moutons vivaient dans des steppes désertiques », rappelle-t-il. « Ce sont de petits buveurs ». En cas de grande sécheresse cependant, il apporte une citerne de 600 litres sur son pick-up.

Association avec une agricultrice de grandes cultures

Cette complémentarité élevage-grandes cultures a convaincu Sofia Simphal. Elle va développer un atelier ovin sur l’exploitation de grandes cultures de son mari, à Couvron. « Je vais m’associer avec Alexandre pour la gestion de nos troupeaux », explique-t-elle. Les deux associés visent 800 à 1 000 têtes. Aujourd’hui, Sofia a 200 brebis et 2 chiens de troupeau. Contrairement à Alexandre, elle ne dispose pas de bâtiment, si ce n’est une infirmerie pour 25 animaux. « Je prévois du plein air intégral », expose la jeune femme, originaire d’Argentine. Le plus compliqué sera de disposer de suffisamment de nourriture de janvier à mars. Chacun des deux agriculteurs dispose de 25 ha de prairie permanente (en contrat pour Alexandre et en propriété pour Sophia). Pour l’hiver, les seules réserves seront des coupes d’enrubannage de couverts (raygrass italien/trèfle, avoine/vesce, seigle forestier/pois fourrager…). « Mais là, nous sommes vraiment tributaires de la météo », avoue l’éleveur.

Pour l’instant, les agneaux sont commercialisés, via un chevillard en boucherie haut de gamme à Paris. Mais à l’avenir, les éleveurs devraient aussi travailler avec une coopérative locale. Et qui sait, leur élevage pastoral fera peut-être d’autres émules dans les plaines…