Sur le marché libre de la pomme de terre, les prix sont extrêmement volatils, plus que pour les productions céréalières. Si le gain peut être important, la perte peut l’être aussi, d’autant que les coûts de production sont élevés et incompressibles. À défaut d’avoir consolidé ses fonds propres pour amortir une mauvaise année, l’exploitation peut vite être mise en péril.

Deux éléments sont essentiels pour aller vers une culture spéculative, ou plus généralement pour jouer sur le cours des matières premières : avoir une espérance de gain positive, c’est-à-dire la conviction qu’on gagnera plus (et/ou plus souvent) qu’on ne perdra et disposer d’une assise financière qui permettra à l’exploitation de faire face à la perte maximale, objet de la spéculation, sans que sa pérennité soit remise en cause. En ce sens, le « matelas de sécurité » sera proportionnel au risque pris.

Limiter l’impôt pour investir

Disposer de fonds propres importants est libérateur pour prendre des risques. Or, la fiscalité peut être un frein. Lorsque l’agriculteur est resté à l’impôt sur le revenu (IR), les bénéfices agricoles (BA) sont taxés jusqu’à 45 % selon la tranche marginale ainsi qu’à la MSA, même si les fonds sont réinvestis dans la ferme.

Alors qu’à l’impôt sur les sociétés (IS), la pression fiscale et sociale n’est plus que de 15 ou 28 %, voire 26,5 % pour les exercices ouverts à partir du 1er janvier 2021. Donc, les fonds propres sont plus rapidement constitués et les producteurs de pommes de terre peuvent, par exemple, se permettre de prendre un risque supplémentaire avec des surfaces un peu plus grandes sur la récolte suivante, sans compromettre la viabilité de leur ferme.

À l’IR, la déduction pour épargne de précaution (1) permet aussi de constituer des fonds propres. Mais cela reste un outil purement fiscal, à la pérennité incertaine et dont les sommes devront être réintégrées (lire l’encadré). La DEP est aussi limitée dans son montant. Or, la pomme de terre est une culture spéculative qui, les bonnes années, peut apporter des résultats largement supérieurs au plafond de la DEP.

Arbitrage économique et non fiscal

L’autre argument en défaveur de l’IR réside dans les règles comptables et fiscales. Tant qu’elle n’est pas vendue, la production doit être valorisée au coût de revient. Sur le marché libre, par définition, les pommes de terre ne sont pas engagées. Si la date de clôture de l’exercice est fixée au 31/12, la récolte doit être valorisée au prix de revient. La marge ainsi constatée peut jouer sur le taux marginal d’imposition. Selon les résultats de l’exploitation, l’agriculteur peut donc piloter et vendre un peu avant ou un peu après la date de clôture pour optimiser sa fiscalité. Le paradoxe, c’est que pour éviter une trop forte imposition, il peut être obligé de vendre alors que les prix du marché sont orientés à la hausse.

Une fois que l’agriculteur est passé à l’IS (2), il ne se pose plus ces questions, son arbitrage devient économique et non plus fiscal. Il vend quand il estime que le marché est au plus haut et non sur les conseils de son comptable.

Passer à l’IS offre donc de nombreux avantages en présence de cultures spéculatives. Mais cela nécessite une gestion très fine de son exploitation et une agilité certaine sur les marchés. Sans jamais perdre de vue le risque intrinsèque à cette production.