Le verdict est tombé le 29 août dernier : Tereos annonçait « s’engager dans un projet de cessation d’activité » de la féculerie d’Haussimont. Et pour cause, la culture fait face à l’érosion des surfaces, entraînée entre autres par la baisse des rendements. Pour le site d’Haussimont, Tereos annonce une baisse de 38 % des surfaces en 4 ans. Selon Guillaume Lidon, le directeur de l’UNPT, « le raccourcissement de la dernière campagne de transformation, et celle à venir, est un indicateur tangible de cette baisse des volumes au niveau national ».

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Le groupe coopératif annonce aussi une diminution de 30 % des rendements en 5 ans. Les sécheresses et canicules estivales de ces dernières années sont la principale cause de cette baisse de rendement explique Cyril Hannon, l’animateur de la filière pomme de terre chez Arvalis : « Moins de 5 % de la production est irriguée et la sélection variétale s’est surtout intéressée à la résistance au mildiou », précise-t-il. La sélection sur ce paramètre est très complexe, et le panel variétal se renouvelle difficilement. Olivier Brasset, vice-président de l’UNPT en charge de la filière fécule, précise que la recherche a aussi amélioré les variétés sur leur capacité à résister aux virus et au manque d’eau. En effet, Pascal Foy, l’ancien président de la féculerie de la Marne, explique que « de nouvelles variétés inscrites par le Comité Nord et développées par les deux usines telles que LD17, Rackham, Eris ou Priam donnent des résultats très intéressants depuis 4-5 ans, malgré les épisodes caniculaires qu’elles ont connus ». Cependant, Olivier Brasset précise que ces variétés résistent mieux au sec, mais pas mieux au chaud. Malheureusement, cette innovation variétale est récente et arrive trop tard pour Haussimont.

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Par ailleurs, la France se situe, avec la Bavière, au sud de la zone de culture de la pomme de terre de fécule en Europe. Il n’est donc pas étonnant que ce soit notre pays qui soit le premier impacté. La plupart des autres pays européens ne connaissent pas cette situation, à l’image du Danemark, où la production de pomme de terre de fécule se développent substantiellement, explique Olivier Brasset.

L’accumulation de réglementation inquiétante pour l’avenir

Selon l’agronome, un autre paramètre monte aussi en puissance : l’augmentation de la présence de virus transmis par les pucerons. En effet, malgré la dérogation pour le Movento, le retrait du Teppeki sur pomme de terre a grandement limité les moyens de lutte contre les pucerons. Pour lui, la situation va même s’empirer en raison de la prochaine interdiction de ce produit sur la production de plants, qui risque ainsi de se retrouver sans véritable solution alternative. C’est une épée de Damoclès pour toute une filière. Par ailleurs, il émet l’hypothèse que l’utilisation de néonicotinoïdes sur betterave permettait de maîtriser la population totale de pucerons dans les zones concernées et protégeait un peu la pomme de terre. « Je pense qu’avec la récente interdiction, les pommes de terre vont subir de plus en plus d’attaques de pucerons ».

Outre la suppression du Teppeki, la filière fécule est aussi impactée par le mille-feuille des réglementations, se désole Olivier Brasset. Certes toutes les cultures sont concernées, mais celles qui ont le plus recours à la chimie le sont d’autant plus. Par ailleurs, « nous avons réussi à obtenir que la pomme de terre soit reconnue comme non-attractive pour les abeilles, mais cela a été difficile », se félicite-t-il. Mais le producteur de pomme de terre s’inquiète fortement à propos des discussions en cours à Bruxelles, notamment le règlement sur l’utilisation des produits phytosanitaires.

Le covid : la goutte d’eau qui a fait déborder le vase

Si la filière était déjà fragilisée par la baisse des rendements en 2019, le Covid semble avoir porté le dernier coup à l’usine d’Haussimont. Selon Bertrand Ouillon, délégué général du GIPT, la fermeture des restaurants en 2020 a entraîné une baisse drastique de la consommation de frites. Si les volumes de pommes de terre ont été principalement redirigés vers l’alimentation animale en France car les 2 féculeries étaient déjà fermées, d’autres pays européens les ont transformés en fécule, ce qui a entraîné une saturation du marché et un report des volumes sur les mois et les années suivantes. Parallèlement à ce phénomène, il explique que le ralentissement de l’activité économique et particulièrement du fret a entraîné une baisse de la demande en papier et carton, dont la fécule de pomme de terre est une des matières premières. Pascal Foy, regrette aussi d’avoir « peut-être abandonné trop rapidement la piste de la production de protéine pour l’alimentation humaine en 2021 ».

Enfin, à la sortie du covid, la reprise a relancé fortement le marché de la frite surgelée qui est aujourd’hui, selon le représentant du GIPT, le moteur de la croissance de la pomme de terre. Une différence de prix trop importante entre la fécule et l’industrie a pu pousser certains producteurs à changer de client, bien que ce ne soit pas possible sur toutes les fermes.

« Certes, les cours de l’amidon ont rebondi début 2021 à cause de la guerre en Ukraine. Cependant, l’amidon de pomme de terre a vu ses cours se redresser environ 6 mois après ceux de l’amidon des céréales (blé et maïs) et l’écart de prix nécessaire entre ces deux types d’amidon a disparu jusqu’au milieu de l’année 2022 », explique Marie-Laure Empinet, présidente de la Chambre syndicale de la fécule.

Les féculiers ont certes augmenté les prix payés aux producteurs, mais cette augmentation était indispensable pour compenser la très forte hausse des charges liée à l’énergie, au transport et à la main-d’œuvre, dans un contexte de concurrence entre cultures. En réponse à cette hausse des coûts, beaucoup de producteurs se sont tournés vers la pomme de terre de consommation, plus rémunératrice, ou vers des cultures aux coûts de production plus faibles comme les céréales ou le colza, précise Olivier Brasset. « Grâce au combat de l’UNPT, une aide exceptionnelle de l’état, à hauteur de 256 €/ha, a été annoncée le 6 juillet dernier » se félicite Guillaume Lidon. Mais, si elle est plus que bienvenue pour le producteur, elle n’a pas suffi à sauver Haussimont explique-t-il.

Vecquemont tient bon

Et maintenant, que va-t-il se passer ? Olivier Brasset reste assez serein pour l’avenir de la féculerie de Vecquemont (Somme), qui transformait 2/3 des surfaces françaises. À la différence de celle d’Haussimont, l’usine du groupe Roquette produit non seulement de l’amidon natif, mais aussi de l’amidon modifié et d’autres dérivés, beaucoup plus rémunérateurs. Les volumes travaillés sur ce site ont aussi baissé, ce qui permettra à certains producteurs de Tereos de continuer la pomme de terre de fécule en changeant de client. « On pourra accueillir les agriculteurs de la région de Vic-sur-Aisne qui veulent continuer cette culture. Mais malheureusement, ce ne sera pas possible pour les producteurs plus éloignés comme ceux de la région d’Haussimont en raison des coûts de transport », explique Olivier Brasset, qui est également président de la coopérative des planteurs de Vecquemont.

Point de vue : « Les NGT auraient pu nous aider »

« Si la féculerie d’Haussimont ferme, le réchauffement climatique en est grandement responsable. Ce phénomène est dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres et nous ne disposions pas du panel variétal résistant à ce phénomène. Mais ce qui arrive aujourd’hui à la féculerie, pourrait très bien arriver demain à une autre industrie agro-alimentaire. Un parasite, une maladie ou un phénomène climatique de type sècheresse ou canicule, quelle que soit l’espèce végétale concernée, pourrait entrainer une rupture de matière première.

Mais pour anticiper et s’adapter vis à vis de ces risques, les NGT sont indispensables. Cela fait longtemps, trop longtemps que ces technologies sont en discussion, et les ayatollahs de l’environnement en sont les premiers responsables. Et pendant ce temps-là, outre l’augmentation de la population prévue pour 2050, d’autres pays comme la Russie ont compris l’importance de l’alimentation dans la géopolitique et ils sont en train de nous remplacer dans un certain nombre de pays. Ce phénomène risque d’aller en s’amplifiant, et on va se réveiller dans 10 ans, mais là aussi, il sera trop tard ! »

Pascal Foy, ancien président de la féculerie d’Haussimont

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