L’utilisation du prosulfocarbe (Defi, Roxy 800 ou Linati par exemple) doit maintenant respecter une ZNT de 20 m. Cette distance pourra être réduite à 10 m grâce à l’utilisation de buses « réduisant la dérive de 90 % ». Ces nouvelles restrictions d’usage annoncées par l’Anses, le 3 octobre dernier, s’appliqueront dès le 1er novembre prochain. L’agence impose aussi une réduction des doses maximales à l’hectare « d’au moins 40 % ». En effet, elle affirme qu’elle « ne peut pas exclure, pour une exposition par voie cutanée principalement, le dépassement des seuils de sécurité pour des enfants se trouvant à moins de 10 mètres de distance de la culture, lors des traitements ». Alors que le ray-grass et le vulpin sont de plus en plus présents et difficiles à maîtriser, Eric Thirouin, président de l’AGPB dénonce une impasse agronomique : « Cette molécule est indispensable pour la culture du blé et de l’orge. Sur les terres drainées, c’est la dernière molécule autorisée et certains producteurs vont être obligés d’arrêter les céréales à paille. Sur les terres non drainées, il reste encore quelques molécules mais le resserrement du nombre de matières actives va entraîner une augmentation des résistances ». Et il précise : « Ces problématiques agronomiques sont évidentes pour les agriculteurs, mais elles sont beaucoup plus compliquées à faire comprendre à l’administration parisienne ». Par ailleurs, d’ici le 30 juin 2024, les entreprises commercialisant cette molécule devront fournir de nouvelles données de terrain pour confirmer l’efficacité de ces mesures. « En cas d’absence de démonstration probante, les autorisations seront retirées sans aucun délai », peut-on lire sur le site de l’Anses. « Il risque d’y avoir une interdiction sans solution », alerte Éric Thirouin, en faisant référence au célèbre slogan.

Depuis 2015, le pouvoir politique n’a plus le pouvoir

L’AGPB dénonce aussi, sur le réseau social X, « une distorsion de concurrence européenne intenable ». On peut se demander comment cette décision peut être prise seulement quelques jours après que le Président de la République ait explicitement promis l’arrêt des distorsions de concurrence au sein de l’Union Européenne. En effet, le 25 septembre, lors de son allocution publique à l’issue du conseil de la planification écologique diffusé sur les réseaux sociaux, il a déclaré que la transition environnementale « se fera sans surtransposition, et en veillant à ce qu’il n’y ait pas de différences entre pays européens, pour ne jamais nous placer dans la situation de perdre notre compétitivité ». La première ministre n’avait pas dit autre chose lors du dernier salon de l’agriculture : « Nous ne créerons aucune distorsion de réglementation pour nos producteurs sauf en cas de force majeure, quand la santé publique est menacée ». Comment expliquer ce double discours ? « Les politiques peuvent faire toutes les déclarations qu’ils veulent : ils n’ont pas les moyens de les appliquer. S’ils veulent faire ce qu’ils disent, il faut changer la réglementation ». En effet, il faut remonter à l’année 2015, où la compétence de l’autorisation des produit phytosanitaires a été transférée du ministère de l’agriculture à l’Anses. « Le code de la santé publique précise désormais qu’aucun recours n’est possible face à une décision du directeur de cette agence », explique Eric Thirouin.

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De la balance bénéfices/risques à la seule analyse des risques

Selon l’auteur et journaliste Gil Rivière-Wekstein, ce choix était une revendication forte de l’ONG Générations futures, car il « signe la fin du concept de balance bénéfices/risques ». En effet, il explique qu’avant 2015, le ministère faisait naturellement une évaluation des bénéfices et des risques liés à un produit et prenait une décision qu’on pourrait qualifier de politique (au bon sens du terme). Mais l’Anses n’en fait pas autant. Dans un entretien publié le 20 mai 2013 sur le site du journaliste, Marc Morteux, le directeur de l’Anses de l’époque expliquait que l’analyse des bénéfices liée à l’utilisation d’un produit phytosanitaire « ne fait pas partie de la mission de l’agence ». « Toute action présente un risque, explique Eric Thirouin, même celle de traverser la rue. Mais cela ne suffit pas pour l’interdire ». Pour lui, si la réglementation sur le produit phytosanitaire est basée sur la seule analyse des risques, c’est « la chronique d’une mort annoncée ». Christian Durlin, président de la commission environnement de la FNSEA, confirme : « on ne peut pas prendre de décision uniquement sur le principe de précaution sinon on interdirait beaucoup de choses. On a eu tendance à faire cela par le passé à propos du nucléaire par exemple, et on revient dessus ». Aucun des deux ne remet en cause le travail de l’Anses : « il est normal que l’on fasse confiance à l’Anses sur l’évaluation scientifique », précise Christian Durlin. Mais il demande « que la décision de l’agence sanitaire soit soumise au ministère de l’agriculture, afin qu’il fasse un bilan des bénéfices et des risques et qu’il prenne une décision qui intègre d’autres paramètres, comme la souveraineté alimentaire et les distorsions de concurrence ». Gil Rivière-Wekstein fait remarquer que cette balance est pourtant utilisée dans la mise en marché des médicaments qui présentent des effets secondaires ou lors des récentes opérations de lutte contre le moustique tigre à Paris.

Par ailleurs, selon Gil Rivière-Wekstein, Stéphane Le Foll et le directeur de la DGAL de l’époque aurait voulu se décharger d’une tâche « politiquement et juridiquement risquée ». En effet, selon lui, « le directeur de la DGAL était juridiquement responsable en cas de problème avec un produit phytosanitaire, et cela explique, en grande partie, ce transfert de compétences ».

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