« Chez Horse, on a étudié la possibilité de lancer des moteurs qui fonctionnent à l’E85 pour la France et pour l’Europe. Mais la réglementation européenne était trop sévère. On a donc décalé nos projets », regrette Guillaume Tuffier, directeur de la stratégie produit et innovation chez Horse, une filiale du groupe Renault dédiée à la production de moteurs. À l’occasion de l’assemblée générale du SNPAA, qui change de nom et devient Bioéthanol France, il précise que si son entreprise décide de sortir un projet maintenant, ce dernier ne sera commercialisé qu’à partir de 2026 ou 2027. Or, le motoriste anticipe une baisse des achats de moteurs thermiques à partir de 2030, si la réglementation continuait à privilégier le tout électrique, ce qui rendrait un tel projet non viable économiquement. « Ça prend du temps de développer un moteur. Ce sont d’énormes investissements et on a besoin de suffisamment de temps pour les amortir. Il nous faut de la visibilité », explique-t-il en précisant que les investissements sur le flex-fuel se concentrent donc sur le marché brésilien où la réglementation est très favorable à l’éthanol depuis de nombreuses années.

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Quels carburants neutres en carbone après 2035?

Ce message vient en écho à celui porté par Bioéthanol France : « nous avons besoin d’un plan et d’une stratégie de long terme favorables aux investissements et mettant en œuvre une politique commerciale loyale face aux importations », a déclaré Valérie Corre, la présidente de Bioéthanol France, dans son rapport d’orientation. La dernière illustration en date dans ce manque de cap réside dans l’incertitude sur la définition qui sera donnée des « carburants neutres en carbone », les seuls que la réglementation européenne envisage d’autoriser après 2035 pour les véhicules neufs à côté des voitures électriques à batterie. « La définition de ces carburants est toujours en cours et nous comptons sur le soutien de la France pour défendre la place des biocarburants durables comme le bioéthanol, le biodiesel ou encore le biogaz dans cette liste », a-t-elle martelé. En effet, depuis l’article écrit il y a un an sur ce sujet (voir BF 1164), la situation n’a pas beaucoup évolué et la France n’a pas encore rejoint les nombreux pays qui souhaitent ouvertement promouvoir le bioéthanol au titre des carburants neutres en carbone. Pour que l’usage des e-fuels « chers à l’Allemagne » (carburant synthétique produit à partir d’électricité) soit autorisé par la réglementation pour les véhicules neufs vendus après 2035, il faudra que celui des biocarburants durables, dont le bioéthanol de betterave, le soit également au titre de la neutralité technologique.

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Bioéthanol et e-fuel : complémentaires et non concurrents

Pourtant, Nicolas Kurtsoglou, responsable des carburants chez Bioéthanol France, explique que ces deux carburants ne sont pas exclusifs mais qu’ils fonctionneront en synergie : le bioéthanol peut permettre de rendre économiquement viables les e-fuels, avec lesquels il pourra être mélangé dans un Superéthanol-E85 100% renouvelable. En effet, un moteur à essence nécessite un carburant dont l’indice d’octane est supérieur ou égal à 95. Or, les e-fuels possèdent un indice d’octane compris entre 20 et 40, alors que celui du bioéthanol est de 109. Le mélange des deux permettrait de régler ce problème technique. Un mélange similaire (bioéthanol et bionaphta) est d’ailleurs déjà réalisé en Californie sur un tiers des ventes d’E85, explique Nicolas Kurtsoglou. Une étude de l’IFPEN, commandée par le syndicat, a comparé les émissions des quatre principaux polluants du SP95-E10 à celles de trois mélanges associant le bioéthanol avec des e-fuel et deux autres biocarburants (bionaphta et Ethanol-To-GAsoline). Dans quasiment toutes les situations, le résultat est sans appel : les mélanges de carburants renouvelables sont beaucoup moins polluants que le SP95-E10 et leurs émissions sont également largement inférieures aux seuils de la future norme Euro 7 qui s’appliquera fin 2026.

Les fausses promesses du tout électrique

La présidente de Bioéthanol France a mis en garde contre les fausses promesses des véhicules électriques, qui seront déployés avec « un retard plus que probable ». En effet, dans son rapport de juillet 2023 sur « la politique industrielle de l’UE en matière de batteries », la Cour des comptes européenne soulignait que la stratégie de l’UE, s’appuyant essentiellement sur le véhicule électrique pour décarboner le transport routier, la rend vulnérable à une dépendance à long terme vis-à-vis de la Chine et des États-Unis pour la technologie des batteries, et menace sa capacité à atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 des véhicules. Ce rapport prévient également que cette dépendance pourrait impacter le prix des véhicules à la hausse ; une information à mettre en parallèle avec l’utilisation de bioéthanol qui, à l’inverse, est aujourd’hui génératrice d’économie pour l’automobiliste.

Enfin, le rapport pointe également la question de la durabilité des batteries et appelle à la mise en place d’une analyse sur tout le cycle de vie de leur production et de leur recyclage, recommandation rendue obligatoire par le règlement CO2 sur les véhicules légers.

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Une élection décisive

L’enjeu est donc maintenant que les décideurs européens incluent le bioéthanol dans la définition des « carburants neutres en carbone ». À noter aussi qu’il est prévu que le sort des véhicules après 2035 soit rediscuté en 2026, au travers d’une « clause de revoyure ». Les élections européennes du 9 juin prochain seront donc décisives pour l’avenir du bioéthanol de betterave, de blé et de maïs, que Valérie Corre a présenté comme « la principale alternative au fossile pour décarboner la flotte de véhicules essence », notamment dans les véhicules hybrides rechargeables flex-E85.

Le bioéthanol brésilien très compétitif pour réduire les émissions de CO2

La directive européenne sur les énergies renouvelables (RED II) a été révisée en octobre 2023. Désormais, les états membres pourront soit se conformer à un objectif de quantité d’énergie renouvelable dans les transports fixé à 29% en 2030, soit dimensionner leur effort en fonction de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), fixée à -14,5 %. Une ouverture pertinente à première vue. Pourtant, Bioéthanol France demande que ces deux objectifs soient cumulatifs et pondérés dans la réglementation française pour maintenir la compétitivité de la filière française. En effet, le bioéthanol de canne importé d’Amérique du Sud atteint, en moyenne, un plus grand pourcentage de réduction de GES, en raison de l’utilisation de la bagasse comme énergie.

Les directives sur l’aviation et le maritime refusent les biocarburants de première génération

Bioéthanol France se félicite que le plafond d’incorporation de 7 % de biocarburant de première génération (1G)* dans l’énergie des transports terrestres a été élargi au transport maritime, et surtout aérien, par la révision de la directive RED II. Cependant, dans les faits, le bioéthanol 1G ne pourra pas être utilisé dans les bateaux et les avions. En effet, Valérie Corre explique que les biocarburants de première génération, pourtant considérés comme durables selon la RED II, ont été purement et simplement évincés ou pénalisés dans RefuelEU Aviation et FuelEU Maritme, les deux règlements qui visent à décarboner les transports aériens et maritimes. Ils sont considérés au même titre que les carburants fossiles, et cela, sans aucun fondement scientifique précise Sylvain Demoures, le secrétaire général de Bioéthanol France (ex SNPAA) : seul le bioéthanol issu de résidus ou déchets, disponible en plus faibles quantités, pourrait être utilisé.

Heureusement, il s’attend à ce que la réglementation française incite les pétroliers à augmenter leur taux d’incorporation dans les transports terrestres pour compenser les transports maritimes et aériens et ainsi atteindre les objectifs de RED II. Il estime donc que le taux de 1G pourrait passer de 7 % à 8,5% au moins, pour les carburants routiers et ferroviaires.

Valérie Corre précise que les décideurs politiques ont orienté les transports maritimes et aériens sur les biocarburants avancés, qui sont limités en quantité, et sur les carburants synthétiques, qui ne sont pas disponibles actuellement et qui sont très chers à produire. « L’association des producteurs européens de bioéthanol (ePURE) a entamé deux procédures auprès de la Cour européenne de justice pour contester l’exclusion du bioéthanol de première génération de ces textes », a-t-elle précisé.

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Distillerie d’Arcis-sur-Aube (Cristal Union) ©DR

Manque de visibilité pour les industriels mais aussi pour la production agricole

« On a aussi besoin de visibilité sur les moyens de production agricoles, au niveau européen comme au niveau français », a rappelé Vincent Guillot, le directeur de l’environnement de la CGB, en faisant référence notamment à la filière betterave, qui a été récemment privée des insecticides dont elle a besoin. Ce manque de moyens est aggravé par des situations de distorsion de concurrence puisque de nombreuses molécules interdites en France sont autorisées dans le reste de l’Europe ou dans des pays tiers. « L’acétamipride et la flupiradifurone, par exemple, sont autorisés et utilisés dans un grand nombre d’états membres mais pas en France », relève-t-il.

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*selon la directive RED II, la première génération désigne les biocarburants « produits à partir de céréales et d’autres plantes riches en amidon, sucrières et oléagineuses ».

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