« Une bière sur cinq vendue dans le monde est faite à partir d’orge et de malt français », lance Philippe Dubief, président de la filière orge brassicole pour Arvalis et de l’AGPB, lors du 25e colloque orges brassicoles à Orléans, le 3 avril. La France reste le premier producteur européen (4,6 Mt), l’unique à produire et exporter de l’orge d’hiver brassicole. Pourtant, en 2024, le marché s’est déréglé. Alexis Garnot, trader orge pour le Groupe Soufflet, évoque un « mauvais alignement des planètes » : disparition des primes élevées (20 €/t), stocks européens conséquents et consommation de bière – donc de malt – qui reste faible dans les pays frappés par l’inflation depuis 2022-2023. À l’international, la compétition sur le marché de l’orge s’intensifie, notamment face à l’Australie. Laquelle, pendant son conflit commercial avec la Chine, s’est tournée vers d’autres pays également clients de la France et a gagné des parts de marché.
Crise ponctuelle ou tournant ?
« S’agit-il d’une crise passagère ou d’un tournant structurel ? », interroge Alexis Garnot. Tout dépendra aussi de la dynamique du marché du malt et, par extension, de celui de la bière. Les flux internationaux ont reculé de 5 % entre 2022 et 2024. La France exporte plus de 80 % de sa production (1,5 Mt) et trois groupes industriels (Soufflet Malt, Malteurop, Boortmalt) figurent dans le top 4 mondial. « Mais on assiste à une concurrence accrue de l’Asie avec des capacités de production en hausse, témoigne Robert N’soga Ngue, analyste marché chez Soufflet malt. S’ajoutent les incertitudes géopolitiques avec la bataille des tarifs douaniers, le coût des frets… De plus, le marché de la bière reste morose, les ventes des principaux brasseurs mondiaux étant toujours en baisse par rapport à leur niveau d’avant la pandémie de 2019.»
Face à ces enjeux, Philippe Dubief insiste : « faire filière » est plus que jamais nécessaire. « Chaque contrainte sur un maillon rejaillit sur toute la chaîne, rappelle-t-il. L’équation est difficile, mais on a les atouts pour y arriver. »
À l’export, le rendement français fait la différence
Grâce au réseau AgriBenchmark, Arvalis a comparé la compétitivité des prix sortie champ en orges (tous débouchés) d’une ferme type picarde (230 ha, 1,5 UTH) à celles de six pays producteurs (Danemark, Australie, Russie, Canada, États-Unis, Argentine). Toutes les fermes retenues ont des rendements supérieurs à la moyenne et sont situées dans les principales zones de production des orges de chaque pays. Seules les deux fermes danoises affichent des charges à l’hectare supérieures. Les fermes-types des autres pays ont des charges inférieures à la ferme picarde de 500 à 1000 €/ha environ.
Mais les bons rendements (8,2 t/ha pour la ferme picarde), associés aux aides PAC (30 €/t), permettent à la ferme picarde d’être compétitive . « En terme de prix d’intérêt complet sortie champ, elle rivalise avec deux des trois fermes russes et la ferme argentine », explique Geoffroy Oudoire, ingénieur R&D chez Arvalis. Toutefois, il nuance toute extrapolation : « d’une part, l’hétérogénéité sur notre territoire implique qu’une ferme performante dans la Marne ou l’Aube n’a pas forcément des rendements aussi élevés que celle de Picardie. Les résultats pour ces bassins seraient donc peut-être différents. D’autre part, il existe une forte hétérogénéité de coût de production dans chaque département. Qu’en est-il pour les autres pays ? Une étude sur des fermes moyennes apporterait-elle les mêmes conclusions ? »
De son côté, Loys de Monvallier, responsable du marché blé et orge chez Axéréal, confirme l’atout logistique pour les exportations avec des silos bien reliés, des ports adaptés à tous types de navires, jusqu’aux Panamax de 60 000 tonnes. « Et quand la Chine achète, nous avons les accords phytosanitaires nécessaires, ce qui n’est pas le cas de tous nos concurrents. »
Des défis multiples et une exigence de qualité
Pour Benoît Piétrement, président d’Intercéréales, la compétitivité repose aussi sur « la qualité sanitaire, pour laquelle l’orge française est reconnue ». L’interprofession a lancé fin mars un plan de surveillance pour détecter les risques et garantir la sécurité alimentaire. Jean-Philippe Jelu, président de Malteurs de France, ajoute que « la décarbonation, la qualité, la traçabilité comptent autant que l’optimisation des coûts ».
Lors de la table ronde « Un siècle de progrès », Philippe Dubief rappelle que « la technicité a permis d’augmenter les rendements et la qualité. Le progrès génétique en est la clé de voûte. » Et de prévenir : « sans innovation, on ne relèvera pas les défis de demain ».