Georges Brassens s’est-il trompé en écrivant « gare au gorille » ? À en croire certains articles, la férocité du sanglier lui est supérieure. Nous l’avons écrit bien souvent dans ces colonnes : le sanglier n’a pas bonne presse. Les animaux sont en effet classés en deux catégories : ceux qui sont « mignons » (renard, belette, lapin, ours) et ceux qui sont « méchants » (sangliers, ragondins, rats). Quant au loup, un carnivore, il bénéficie d’un a priori favorable. Il faut oublier « le petit chaperon rouge » et « la chèvre de M. Seguin », des contes sans fondement et voir dans l’animal un frère, un sage, supérieur aux humains. Qu’importent les anciennes chroniques des presbytères faisant état d’attaques multiples sur les bergers et bergères, « frère loup » nous veut du bien. Mais le sanglier, c’est autre chose. Comme il devient de plus en plus abondant et s’aventure jusque dans le centre des villes, la presse s’inquiète. Le promeneur est-il en sécurité ? Récemment, un article publié dans Ouest France répond par la négative. Croiser un sanglier ne serait pas anodin et mieux vaut connaître les gestes qui sauvent. D’abord : faire preuve de sang-froid. Je cite : « Même si c’est un conseil parfois difficile à appliquer sur le terrain, il est important de garder son calme. Si vous n’avez pas la possibilité de rebrousser chemin, restez immobile. Évitez les gestes brusques, ne vous mettez pas à hurler, à partir en courant… Autant de comportements qui risqueraient d’engendrer du stress, et donc une réaction défensive ». Rappelons que nous parlons bien d’un sanglier. Pas d’un grizzly, d’un tigre, d’un buffle, d’un gorille ou d’un lion.

Ne le regardez pas dans les yeux !

Mais l’animal est dangereux. D’ailleurs le chroniqueur poursuit : « essayez aussi de ne pas le regarder fixement dans les yeux : c’est un comportement de prédateur, qui peut être pris pour une menace. Après quelques secondes, soit à peine le temps de vous remémorer ces conseils, le sanglier devrait de lui-même avoir pris la fuite ». Notez le conditionnel : l’animal « devrait » avoir pris la fuite. Toutefois rien n’est certain. Envisageons le pire : vous l’avez défié et la situation se tend. Pas de panique. Vous pouvez encore vous en sortir. « Si, par malchance, vous vous retrouvez vraiment nez à nez avec un sanglier qui vous semble peu commode, un autre conseil consiste à placer une barrière naturelle entre l’animal et vous. Regardez si vous voyez à proximité un tronc d’arbre épais, un rocher ou une haie dense. Certes, cela ne suffira pas forcément à assurer une protection efficace contre un sanglier de plusieurs dizaines de kilos qui charge, lancé à vive allure. Mais c’est une façon de prendre du recul et de lui montrer que vous préférez vous placer à distance et n’avez pas de comportement agressif ». Donc voilà : si le sanglier vous semble « peu commode » (par exemple, il vous a regardé de travers ou il gratte la terre de sa patte avant à la manière du taureau), jetez-vous derrière un tronc d’arbre, une haie, un rocher. Attention : cette protection est dérisoire mais, sur un malentendu, qui sait ?

Mammouth

Ne sous-estimez jamais le danger. Notre rédacteur, en verve, monte dans les tours : « une femelle pèse environ 80 kilos et mesurera entre 1 mètre et 1 mètre 50 de long. Plus massifs, les mâles dépassent souvent les 100 kilos pour 1 mètre à 1 mètre 80 de longueur. La hauteur au garrot est d’environ 80 cm à 1 mètre. Ce sont donc effectivement d’impressionnants animaux, aux petits airs préhistoriques de mammouths ! » Oui, vous avez bien lu : « de mammouths » ! Cette fois, plus question de rigoler. Qui a vraiment envie d’affronter un mammouth ?

Le quotidien conseille de ne jamais s’éloigner des sentiers balisés que les sangliers ne fréquentent pas, car ils perçoivent dessus une odeur humaine et s’en écartent. Ainsi mis en garde, le lecteur frémit. En me promenant dans les bois, dois-je craindre pour ma vie et celle de ma famille ?

Les réactions à cette prose digne de Stephen King calment un peu le jeu. Un lecteur écrit benoîtement : « j’en vois tous les jours des sangliers, car je vais marcher très tôt, justement pour voir des animaux dans la nature. Je les laisse même s’approcher à un mètre de moi, ils me regardent sans plus, tant que je ne bouge pas d’un cil. Dès qu’ils réalisent que je suis un humain, surtout si je bouge, ils s’enfuient !!! Ce sont eux qui ont peur de nous ! Même à une distance de plusieurs mètres, ils prennent la fuite s’ils vous sentent, vous entendent ou décèlent un mouvement ». Bien vu !

Personne à notre connaissance n’a été chargé délibérément par la bête noire. Les charges ne se produisent que lorsque l’animal est acculé par les chiens ou s’il est blessé. Le reste du temps, il esquive la présence humaine. Une laie suitée ne se défendra que si les petits sont bloqués et ne peuvent pas s’enfuir, ce qui n’arrive pas.

Mais c’est son aspect qui engendre les fantasmes. Hirsute, armé, patibulaire, sale et certainement méchant, il ne se prête pas aux câlins. À une époque d’anthropomorphisme galopant, un animal est jugé sur sa bouille. Et notre brave sanglier en fait les frais !