La betterave réussira-t-elle à conserver sa place de choix dans les assolements ? Une étude de l’Association de recherche technique betteravière (ARTB), basée sur les données consolidées de 2023 (les plus récentes du Réseau d’information comptable agricole – RICA) et des projections pour 2024-2025 permet de dégager quelques tendances. En 2023, la rentabilité exceptionnelle de la betterave a joué un rôle d’amortisseur, permettant aux exploitations de limiter l’impact de la crise des prix des céréales. Cependant, l’hétérogénéité croissante des résultats, la persistance de coûts de production élevés et la volatilité des rendements et des marchés rendent la rentabilité future plus fragile. Plus que jamais, le revenu betteravier est soumis aux aléas sur les rendements, à la volatilité des prix de marché et à l’augmentation des charges.

Une année 2023 record pour la recette betteravière

La betterave a retrouvé en 2023 une place dans le chiffre d’affaires des exploitations qu’elle n’avait plus atteinte depuis la fin des quotas sucriers. En moyenne, pour la « ferme France betteravière », elle a représenté 19 % du chiffre d’affaires total.

La réussite de 2023 s’explique par la convergence de deux éléments : un niveau de prix historiquement élevé (environ 50 €/t) et des rendements qui, sans être exceptionnels (83 t/ha en moyenne), se sont inscrits dans la moyenne quinquennale. Résultat : la recette moyenne a avoisiné les 4 000 € par hectare en 2023. Ce niveau dépasse la très bonne campagne 2012-2013, qui faisait jusqu’alors figure de référence.

Derrière les moyennes, une hétérogénéité préoccupante

La dispersion des revenus révèle cependant une hétérogénéité croissante des situations économiques.

En 2023, l’écart de recette entre les 10 % meilleurs et les 10 % moins bons est de 2 000 €/ha ! Cette hétérogénéité s’explique en grande partie par des écarts de rendement très importants. Les 10 % d’exploitations aux recettes les plus faibles affichaient des rendements moyens de seulement 60 t/ha, tandis que les 10 % les plus performantes atteignaient près de 100 t/ha (graphique 1).

Cette dispersion s’est répercutée de manière encore plus marquée sur le revenu global des exploitations. L’écart de revenu par unité de travail entre les 10 % d’exploitations les plus performantes et les 10 % les moins performantes a dépassé 160 000 € en 2023. Le revenu moyen par unité de travail s’est élevé en moyenne à 70 200 € en 2023, soit une baisse d’environ 40 % par rapport à l’année 2022, qui était historiquement exceptionnelle (graphique 2). Une baisse qui s’explique par le retournement des marchés des grains dans un contexte de forte augmentation des facteurs de production.

Plus inquiétant encore, l’année 2023 se caractérise par une dégradation significative des revenus les plus bas par rapport aux années de référence affichant un revenu moyen similaire. Le décile inférieur s’est fortement dégradé : il est devenu négatif, et au total, 11 % des fermes betteravières étaient déficitaires en 2023 sur la base du résultat courant avant impôt (RCAI).

Coûts de production élevés en 2024-2025

La rentabilité exceptionnelle de 2023 ne doit pas occulter une réalité structurelle : les coûts de production de la betterave restent à des niveaux élevés, mettant la rentabilité future sous tension.

En 2023, le coût de production moyen consolidé s’est élevé à 2 948 € par hectare. Les estimations pour 2024 prévoient une légère baisse (environ 2 851 €/ha), suivie d’une sensible augmentation en 2025. Il semble désormais difficile, voire improbable, de retrouver les niveaux d’avant la crise de 2020, où les coûts avoisinaient 2 200 €/ha.

La betterave est une culture « gourmande » en trésorerie et en travail. Sa structure de coûts, notamment les intrants (semences, engrais, phytosanitaires) et l’itinéraire technique (main-d’œuvre, carburant, matériel), est environ deux fois supérieure à celle des autres grandes cultures, ce qui rend la betterave plus exposée aux variations de prix des intrants (graphique 3).

Compte tenu de cette structure de coûts élevée, le seuil de rentabilité de la culture a mécaniquement augmenté. Désormais, avec un rendement de 82,5 t/ha, il faut viser un prix de la betterave de 35 €/t pour simplement couvrir les charges.

Quelle rentabilité en 2025 ?

La betterave reste-t-elle compétitive par rapport aux autres cultures possibles dans l’assolement ? Malgré des coûts de production élevés, la betterave conserve un avantage concurrentiel par rapport aux principales alternatives, comme le blé, l’orge, le colza ou le maïs.

Il est à noter que des cultures comme le lin, dont la rentabilité est jugée bien supérieure, ou la pomme de terre, au contexte de marché très spécifique, ont été écartées de la comparaison.

Sur la période 2017-2023, la betterave a dégagé une marge brute moyenne d’environ 1 250 €/ha. Ce chiffre est supérieur à celui du blé (environ 1 000 €/ha), du colza (938 €/t) du maïs (616 €/t) ou du pois (633 €/t) sur la même période.

Les simulations de marge nette pour la campagne 2025 confirment cet avantage. La betterave dégage une marge nette supérieure dans la quasi-totalité des scénarios de rendement et de prix (blé, orge, maïs, pois, tournesol). Par exemple, une culture de betterave avec un rendement de 90 t/ha et un prix de 32 €/t dégageraient une marge nette supérieure de 531 €/ha par rapport à un blé à 8,3 t/ha vendu 165 €/t (tableau 4).

Le colza est la culture la plus compétitive. Pour dépasser la marge du colza, un planteur réalisant 90 t/ha doit obtenir un prix d’au moins 32 €/t pour ses betteraves.

Le bon positionnement de la betterave en 2025 est largement amplifié par le contexte de « prix très dégradés des céréales ». Si les prix des céréales s’étaient maintenus à des niveaux plus élevés, l’écart de rentabilité aurait été différent et potentiellement moins favorable à la betterave.

La performance de la betterave, bien que solide, reste donc très dépendante du contexte de marché global des grandes cultures.

Pour la campagne 2025, bien que la betterave devrait conserver un avantage de marge nette sur la plupart des autres grandes cultures (notamment grâce aux prix dégradés des céréales), la rentabilité finale dépendra fortement des rendements (très hétérogènes cette année) et du marché du sucre dégradé qui pèsera sur le prix des betteraves excédentaires.