Ce 14 avril, sous un beau soleil d’Alsace, l’exploitation des frères Binder est en pleine effervescence. Le rendez-vous nous a été donné au bout d’une parcelle située sur la plaine d’Alsace, où l’on peut voir de part et d’autre les Vosges et la Forêt-Noire. Les terres sont légères dans cette plaine où coule le Rhin.
Albert Binder stoppe son tracteur. Il est en train de semer du maïs semence. Il nous emmène tout de suite voir la culture emblématique de son exploitation : les asperges. Sa sœur et sa belle-sœur sont en train de les mettre en botte pendant que son épouse vend des asperges sur le marché de la commune voisine. À quelques mètres, des clients passent à la ferme acheter « les bonnes asperges d’Alsace », une culture historique dans la région. L’autre partie de la production est vendue à des grossistes.
Albert Binder travaille avec son frère Martin. Sa fille aînée Diane est installée sur une autre exploitation et sa cadette est salariée. « Aujourd’hui, l’exploitation est dirigée par deux frères et, demain, elle le sera par deux sœurs », résume le planteur de betteraves.
100 % irrigable
Les principaux atouts de la ferme sont l’eau (l’exploitation est 100 % irrigable) et une forte cohésion familiale. Ainsi, les frères Binder peuvent compter sur d’autres membres de la famille (sœur, belles-sœurs, neveux), mais la main-d’œuvre saisonnière est indispensable : la récolte des asperges mobilise environ 30 ouvriers polonais et roumains, tandis que la castration du maïs demande le renfort d’étudiants pour faire monter les effectifs à 80 personnes.
Cette « famille unie », comme le reconnaît Albert Binder, a transformé une ferme traditionnelle alsacienne devenue aujourd’hui une entreprise, qui emploie plusieurs dizaines de saisonniers. Les cultures principales sont le maïs semence, la pomme de terre et les asperges.
Premiers panneaux photovoltaïques à la ferme
On continue le tour de l’exploitation en passant devant sept immenses hangars couverts de panneaux photovoltaïques. « Ce sont les premiers bâtiments agricoles en France à être équipés de panneaux photovoltaïques. Ils ont été inaugurés en janvier 2007 », lâche Albert Binder. À l’époque, il s’était inspiré de l’exemple allemand. « J’ai essuyé les plâtres, mais j’ai bénéficié d’un tarif de rachat d’électricité assez élevé ». L’année prochaine, son contrat prend fin et il regrette « le grand flou artistique » en matière de politique sur le photovoltaïque. Son objectif est de retrouver un nouveau contrat.
Aventure dans le tabac et le houblon
Puis cap vers le nord à 8 kilomètres de là, à côté de la gravière de Fort-Louis, où son frère Martin et sa fille Anna sont en train de planter les pommes de terre. Toujours à défricher de nouvelles activités !
Après le houblon, le tabac, ce sont les pommes de terre. Les frères Binder acceptent de prendre des risques. Ils ont été un temps les premiers producteurs français de houblon. « Nous avons commencé en 1992 et arrêté en 2010 ». L’américain Anheuser-Busch avait passé des contrats avec les houblonniers alsaciens pour sa célèbre Budweiser. Mais après que le premier brasseur mondial, Inbev, a racheté l’entreprise, « la première chose qu’il a faite, c’est de casser les contrats les mieux payés. En 2010, on a donc tout rasé », raconte Albert Binder. Il ne se laisse pas démonter pour autant et se lance dans la production tabacole. « Nous étions le 3e producteur français. Et pareil, les acheteurs n’ont pas payé. On a donc arrêté. Aujourd’hui, le tabac a doublé de prix parce que beaucoup d’agriculteurs ont fait comme nous. »
En 2014, il a introduit le maïs semence, qui représente aujourd’hui la moitié de la SAU de l’exploitation. « Un maïs irrigué peut faire 140 à 150 q/ha. »
70 km d’Erstein
Après avoir testé la culture de la pomme de terre l’année dernière, les frères Binder se sont lancés pleinement cette année avec l’achat d’une arracheuse Ropa Keiler 2 tractée. « L’année dernière, un ami nous a prêté du matériel pour planter 5 hectares de pommes de terre. Cela a plutôt bien marché, j’ai donc recherché un industriel ». C’est la première ferme d’Alsace à décrocher un contrat avec un producteur de frites surgelées. L’irrigation a été déterminante pour décrocher ce contrat.
Enfin, la betterave est un pilier de l’exploitation. D’ailleurs, Albert Binder siège au conseil d’administration de Cristal Union. La culture est arrivée au sein de la ferme en 1973, à l’époque où la sucrerie d’Erstein cherchait à se renforcer. Quand la rhizomanie a touché l’Alsace, la sucrerie a élargi le secteur de production au nord de Strasbourg : à Sessenheim, nous sommes à quasiment 70 km d’Erstein. Grâce à l’irrigation, les rendements approchent les 100 t/ha même si, l’année dernière, ils ont été très décevants pour cause de pluie excessive : il est tombé 1 100 mm ! Cette année, les betteraves ont été semées le 19 mars. Le 24 juin, elles recevaient leur deuxième tour d’eau. « Elles sont belles », constate Albert Binder, qui se tient prêt pour traiter contre la cercosporiose.