Pour Bruno Tremblay, vice-président Europe du Sud, Moyen-Orient et Afrique de Bayer, le lien entre « l’agriculture numérique et la production durable n’est pas encore clair dans l’esprit de nombreux responsables politiques ». Il pense que si la future PAC « se concentre sur la production de denrées alimentaires durables, cela peut être réalisé grâce au numérique ». Interview. Un article de notre partenaire européen Euractiv.

Que pensez-vous des propositions de la nouvelle politique agricole commune (PAC) ? Certains suggèrent que l’introduction tant attendue de nouvelles technologies et de pratiques agricoles de précision dans le secteur n’est pas suffisamment soutenue.

A l’origine, l’objectif de la PAC était d’assurer une production agricole alimentaire suffisante en Europe, après toutes les tensions que nous avons connues après la Seconde Guerre mondiale. Après avoir atteint l’autosuffisance dans les années 1970, l’objectif de la PAC est devenu d’accorder des subventions pour garantir que nous continuions à produire des produits agricoles dans toute l’Europe, en gérant plus ou moins les types de cultures et les quantités à produire. J’ai l’impression que la PAC sera désormais davantage axée sur la manière dont les biens sont produits. Il n’y a plus d’incitations basées sur la quantité mais plutôt sur la composante « verte » de la production. La PAC devient de plus en plus verte, se concentre sur la manière de produire des denrées alimentaires de manière plus durable, ce qui peut être réalisé grâce à des innovations telles que l’agriculture numérique. Je pense toutefois que le lien entre l’agriculture numérique et la production durable n’est pas encore clair dans l’esprit de nombreux responsables politiques. La numérisation ne signifie pas confisquer les données des producteurs ; il s’agit plutôt de l’impact positif que l’agriculture de précision aura sur l’agriculture durable et productive en Europe.

Certains producteurs craignent que ce type d’innovation soit un moyen de les contrôler….

Les données appartiennent toujours aux producteurs, même après avoir choisi de les partager sur notre plateforme. Nous ne pouvons les utiliser à aucune fin, interne ou externe, sans leur consentement préalable. Les données peuvent ensuite être utilisées pour permettre aux producteurs de mieux comprendre toutes les décisions qu’ils doivent prendre dans leurs champs. Nous considérons plutôt ces plateformes numériques comme un fournisseur de solutions. L’idée est de créer de la valeur pour nos clients et notre entreprise en fournissant des technologies numériques aux producteurs.

Un débat est en cours en Europe sur l’avenir de l’agriculture à la lumière d’une concurrence mondiale de plus en plus accrue. Qu’attendez-vous de la prochaine Commission européenne ?

La question clé qu’il sera intéressant d’examiner est la vision de l’agriculture européenne pour l’avenir. Nous devons surtout déterminer si voulons être une région exportatrice dans le monde, ou si nous nous dirigeons davantage vers une production autosuffisante, davantage axée sur l’agriculture biologique et l’autosuffisance.

En Europe, on a tendance à penser davantage à la manière dont nous produisons qu’à la compétitivité de l’agriculture. Je pense que l’agriculture en Europe bénéficierait d’un accès plus large à l’innovation et aux nouvelles technologies. Les entreprises devraient participer davantage au dialogue avec les différentes parties prenantes, alors qu’aujourd’hui, on croit que l’innovation en agriculture n’est pas ce que les consommateurs veulent. Nous devrions interagir davantage pour comprendre les attentes des consommateurs et communiquer de manière plus transparente sur nos innovations. Là encore, la question porte sur notre vision : s’agit-il simplement de nous nourrir ou d’être une région exportatrice vers les autres pays méditerranéens et africains ? D’un point de vue politique, l’Europe essaie d’aider l’Afrique à faire face au défi migratoire, et je suppose que l’agriculture fait partie de la réponse.

Une récente décision de la Cour de justice de l’UE sur le contrôle génétique a « secoué » l’industrie agro-alimentaire qui estime que cela ralentirait l’innovation. Partagez-vous ce point de vue ?

Oui, nous avons été déçus de la décision de la Cour de classer la modification génétique dans le même règlement que les OGM. C’est une occasion manquée pour l’innovation agricole en Europe. L’agriculture numérique, l’édition génétique et d’autres méthodes de sélection végétale sont les principaux moteurs de l’avenir de l’agriculture en Europe et, grâce à ces deux méthodes, nous pouvons avoir une agriculture beaucoup plus durable.La modification génétique est une technologie de sélection beaucoup moins invasive et beaucoup plus précise. En outre, ces méthodes peuvent réduire considérablement le temps de développement de nouvelles variétés végétales à moins de la moitié de la durée actuelle, qui peut atteindre 15 ans. De plus, si vous parvenez à développer correctement des hybrides plus résistants à certaines maladies ou à certains insectes, vous pourriez probablement utiliser moins de produits chimiques, et nous avons des études qui prouvent que cette technologie réduit considérablement l’utilisation des produits chimiques. Je m’inquiète pour l’Europe si elle décide de rejeter cette technologie. Pendant ce temps, l’Amérique du Nord et du Sud, ou même l’Asie, adoptent très rapidement ces nouvelles techniques de sélection, car elles voient que les avantages vont au-delà de la technologie des OGM. Les éleveurs et les agriculteurs européens seront perdants, car ils n’auront pas eu la possibilité d’explorer l’énorme potentiel et les avantages de ces innovations en matière de sélection végétale dans la pratique.

Le débat sur le glyphosate a divisé les parties prenantes de l’UE et a suscité des discussions sur la crédibilité du processus décisionnel de l’UE et sur la question de savoir s’il repose sur des preuves scientifiques ou sur des émotions. Quelle est votre position ?

Le fait est que toutes ces émotions ont été suscitées par le renouvellement de l’autorisation du glyphosate au niveau européen en novembre 2017. Mais il n’y a aucune question ou aucun débat de la part d’agences nationales ou d’autorités réglementaires dans tous les pays du monde où des produits à base de glyphosate sont homologués. Le glyphosate est un outil précieux et sûr pour les agriculteurs et les autres utilisateurs depuis plus de 40 ans. Le glyphosate est probablement l’ingrédient actif ayant fait l’objet du plus grand nombre d’études scientifiques de l’industrie.

Il s’agit d’un débat politique et pour l’aborder, nous devons dialoguer et coopérer avec les gouvernements locaux car ils ont besoin de sentir la proximité de notre équipe. Nous travaillons sur les données de sécurité que nous pourrions partager avec le public pour regagner sa confiance puisque le débat est très émotif et passionné, mais la science n’a pas eu beaucoup de place dans cette discussion. Dans certains pays, ce débat va au-delà du glyphosate : c’est une préoccupation générale au sujet des pesticides et de la façon dont ils sont autorisés. Récemment, il y a eu une discussion sur le processus d’autorisation de l’EFSA et je pense que les gouvernements nationaux et les agences de l’UE doivent être plus proactifs dans la communication de leur travail et de leur mode de fonctionnement. Nous ne sommes qu’un des nombreux acteurs du glyphosate en Europe. Pour nous, c’est un produit important et il est essentiel pour les producteurs de produire des aliments sûrs et abordables, car cela fait partie de leurs pratiques agronomiques normales. Par conséquent, nous ne voyons pas comment les producteurs pourraient remplacer le glyphosate par un produit plus sûr et plus rentable à l’avenir.

Donc même des verdicts comme ceux rendus aux États-Unis ne pourraient pas affecter les activités de Bayer en Europe ?

Nous ne sommes pas d’accord avec le verdict et nous avons l’intention de demander un réexamen par le tribunal et de faire appel, si nécessaire. Ce qui s’est passé aux États-Unis, c’est qu’un jury a rendu une décision en Californie à la suite d’une discussion sur l’étiquetage pour déterminer s’il contenait suffisamment de mises en garde. Or, plus de 800 études scientifiques – dont une étude indépendante qui a suivi plus de 50 000 travailleurs agricoles appliquant des pesticides autorisés et leurs conjoints pendant plus de 20 ans – et les autorités réglementaires du monde entier confirment que le glyphosate et les herbicides à base de glyphosate peuvent être utilisés en toute sécurité s’ils sont utilisés conformément aux instructions figurant sur les étiquettes.

Propos recueillis par Gerardo Fortuna (Euractiv.com) – traduit par Marion Candau