Un russe blanc dans la Sarthe ! Citoyen fort discret de Saint Vincent du Loroüer où il arrive en 1964, Boris Riabouchinsky y vivra d’une façon très modeste peignant dans son petit atelier des scènes animalières pour ceux qui lui passaient commande. Sur ses origines il était d’autant plus secret qu’il nourrissait une sainte terreur des communistes qui avaient expulsé sa famille de son cher pays. Ses parents possédaient au nord de Moscou un domaine de plusieurs milliers d’hectares. C’est dans cette nature intacte qu’il va découvrir à la fois la chasse et le dessin. Il participe à des chasses à l’ours et au loup et chasse le petit gibier au chien d’arrêt. Ses études sont brillantes. Boris apprend le français, l’anglais, l’allemand et l’italien, langues qui lui serviront lors de son exil. Aimant dessiner, il griffonne à chaque sortie de chasse et accumule de nombreux croquis. Ses parents l’inscrivent à l’Académie des Beaux-Arts de Moscou où il affûte son talent. En 1916, il fait son service militaire dans la cavalerie du Tsar où il devient lieutenant. La révolution de 1917 va ébranler la Russie et bouleverser la société. La chasse aux « Russes blancs » commence. La famille Riabouchinsky est alors spoliée de ses biens par les communistes et doit rapidement quitter le pays. Boris se réfugie en Italie où s’affirme sa vocation de peintre animalier. Il part ensuite en Grande-
Bretagne puis au Canada où il reste deux ans. Vivant dans la région de Montréal, il chasse, observe et dessine.

En 1927, l’artiste arrive en France où il restera jusqu’à la fin de sa vie. Riab se fait peu à peu connaître dans le milieu des animaliers et adhère dès son arrivée au «Syndicat des artistes peintres professionnels».

Ami de Mérite et de Reboussin

Il fréquente le Muséum d’Histoire Naturelle et travaille alors avec Mérite et Reboussin qui y sont successivement maîtres de dessin animalier. Deux poids lourds de la discipline et dont les oeuvres se vendent elles aussi très bien aujourd’hui. Dans les années trente, craignant d’être pris pour un juif et embarqué dans une rafle, il décide de raccourcir son nom et signe Riab. La guerre terminée, il travaille pour de nombreuses revues spécialisées comme «le Saint Hubert», «la Sauvagine», «Chasse, chiens et vénerie», «L’éleveur» et «Plaisirs de la Chasse». L’aquarelle et la gouache sont ses modes d’expression privilégiés ce qui ne l’empêche pas de réaliser quelques toiles sur commande. En France, il ne chasse plus mais observe, prend des notes et croque ce qu’il peut admirer dans les chasses de ses amis en Beauce, Seine-et-Marne ou Sologne. Membre de l’Association Nationale des Chasseurs de Gibier d’Eau, il rencontre Jean Deneuville, grand protecteur des zones humides ; les deux hommes deviendront très amis. Riab réalisera pour lui de nombreuses représentations de la Baie de Somme et de son gibier. L’artiste qui affectionne les charmes de ces marais, se rend régulièrement sur place où il partage les huttes des sauvaginiers locaux.

Reçu dans les sphères les plus huppées, vendant convenablement ses toiles et ses dessins, ne chassant plus mais invité à suivre ses amis dans les plus beaux tirés, l’artiste est respecté par ses pairs et parvient à vivre de ses oeuvres. Avec ses traits fins, son front haut et sa belle barbe blanche, il a tout à fait la tête d’un prince russe, une origine qu’il cache autant qu’il peut.

En 1964 après avoir hésité entre la Baie de Somme et … le Canada, Riab achètera finalement une maison dans la Sarthe, à Saint Vincent du Lorouër, lieu-dit des Mortonnières en bordure de la forêt de Bercé. C’est là qu’il passe avec son épouse ses douze dernières années.

Il a encore la nostalgie de la Russie et c’est sans doute la raison pour laquelle le bouleau fait si souvent partie de ses paysages. La fin de sa vie sera difficile. En effet sa situation matérielle se dégrade, le successeur de son galeriste ne le payant pas. Il vit bientôt au seuil de la pauvreté et meurt le 18 août 1975.

Dessins

Que reste-t-il aujourd’hui de son oeuvre importante ? Hé bien ses dessins, aquarelles et huiles se vendent toujours bien en salle des ventes. Pas une vente de chasse sans que l’on voit quelques oeuvres de Riab : étude de renards, scènes de déterrage, étude de perdrix, retrievers au travail, portraits de chiens, arrêts de setters ou de pointers. Le dessin est précis, l’attitude des animaux maitrisée. On le sent parfois plus à l’aise au trait que dans les compositions en couleur. Le dessin reste sa spécialité. Certaines toiles sont parfois un peu trop « léchées » à la limite du chromo mais l’ensemble reste plaisant et naturel. Les amateurs ne s’y trompent pas qui achètent ces compositions à un prix qui reste ferme. La cote de l’artiste, pas plus que celle de Mérite, Danchin, Xavier de Poret, Reboussin, Oberthür ne se dément pas. En outre quantité de gravures et de lithos inondent le marché, ce qui permet à tout un chacun d’avoir une oeuvre à moins de 100 €. Les aquarelles originales se négocient, elles, autour de 500 à 700 € en salle des ventes. L’artiste venu du froid fait désormais partie de notre patrimoine artistique.

Eric Joly