De loin, on dirait une grande volière. De près, aucun doute n’est permis : il s’agit bien d’une houblonnière. Le spectacle détonne dans le paysage aubois, qui a perdu depuis longtemps la mémoire de cette plante, alors que l’Aube était le 4e producteur de houblon français au XIXe siècle. Trois jeunes agriculteurs suscitent donc la curiosité de leurs pairs en réimplantant cette culture dans le nord-est du département. Après des essais concluants menés en avril 2020, la plantation a eu lieu en mars dernier sur deux parcelles situées à Balignicourt et à Pars-lès-Chavanges. « On cherchait quelque chose de nouveau pour se diversifier, prévenir d’éventuelles difficultés financières et s’assurer un revenu complémentaire », expliquent Camille Maurois et Etienne Joanot, deux amis d’enfance âgés de 28 ans, associés au cousin de ce dernier, Victor Joanot (23 ans). Sur leurs exploitations respectives, ils cultivent notamment des céréales, de la pomme de terre, de l’œillette et de la betterave (45 ha au total). Ils élèvent aussi des brebis, des poulets et autres volailles. Outre le fait d’être amateurs de bière, les trois garçons avouent que c’est également par curiosité professionnelle qu’ils se sont lancés dans le houblon, « intéressant d’un point de vue cultural ».

Cinq variétés

Ils ont jeté leur dévolu sur des terrains au sol profond, des « terres de vallée, limoneuses à Pars et plus blanches à Balignicourt », car le houblon « aime bien avoir les pieds dans l’eau ». Il sera sans doute nécessaire d’irriguer les houblonnières en période de sécheresse grâce à un système de goutte à goutte. Les plants ont pris la place de champs de colza. Le trio a sélectionné cinq variétés différentes, mélangées dans les parcelles : deux plutôt aromatiques, deux plutôt amérisantes, et une plus polyvalente. Le but étant à la fois de proposer une gamme complète aux brasseurs locaux ou nationaux, de diluer les risques, de panacher les variétés en fonction de leur précocité et donc d’étaler la récolte de fin août à fin septembre, à raison d’une journée par variété. Les agriculteurs ont dû s’équiper du matériel adéquat, car il est hors de question de cueillir à la main une plante connue pour ses propriétés allergisantes. Vient ensuite le moment le plus délicat : celui du séchage du cône qui sert à produire le houblon. « On n’a que trois heures après l’arrachage, sinon le houblon se détériore, et il faut deux heures pour bien le sécher ». Camille, Etienne et Victor confessent « partir un peu dans l’inconnu », malgré trois sessions de formation et trois visites de houblonnières. Ils ont également bénéficié des conseils d’Edouard Roussez, président de l’association Houblons de France et fondateur de la plateforme Hopstock.

Objectif 5 ha

Pour corser le tout, les agriculteurs aubois ont opté pour le bio afin de se démarquer de l’Alsace. Cette filière est mieux valorisée (la différence est d’une dizaine d’euros par kilo, soit 30 % de plus), mais la culture est plus exposée aux maladies comme l’oïdium et le mildiou, ainsi qu’aux ravageurs. Raison pour laquelle les houblonniers vont planter une haie autour de leurs installations pour abriter les auxiliaires et faire rempart contre les pucerons, par exemple. Le bio présente également des rendements inférieurs à ceux du conventionnel. Ils seront de l’ordre de 1,2 t/ha au bout de trois ans. Une houblonnière a une durée de vie d’environ vingt ans. Les trois cultivateurs songent déjà à doubler de surface, soit 5 ha, pour atteindre la rentabilité. Un élément les rend très optimistes quant à l’issue de leur projet : le houblon sauvage pousse déjà naturellement dans les bois environnants.

250 000 € d’investissement

La culture s’étale sur deux parcelles de 0,95 ha et de 1,55 ha, cette dernière étant divisée en deux structures de 80 et 75 ares, autrement dit deux houblonnières distinctes. Il a fallu deux mois complets aux trois hommes, avec du renfort, pour tout installer : 6 250 pieds de houblon (un pour 4 m2), 350 poteaux en acacia ou en châtaigner (deux bois imputrescibles) de 7,50 m de haut (dont 1 m enterré) plantés tous les 10 m, 20 km de câbles reliés par des fils de coco pour permettre à la liane de grimper.

Les 2,5 ha de houblonnière permettront de fabriquer 15 000 hl de bière. Le houblon bio se négocie à 25 à 30 € le kilo, le non-bio à 16 à 18 € le kilo.

L’investissement s’élève à 250 000 €, divisé en trois parts égales, avec l’aide de la banque. Somme qui couvre l’achat des plants, du matériel et de tout l’équipement nécessaire : tracteur viticole, arracheuse, séchoir, etc. Des coproduits sont envisageables — la liane peut intéresser une chanvrière, et les feuilles conviennent aux moutons —, mais sans doute à plus grande échelle. Les résidus serviront dans un premier temps de compost.