Devenir un entrepreneur du vivant et de la nature : tel est l’objectif recherché par Clément Brunel lors de son installation en 2020. Depuis, il adapte son exploitation de 125 hectares située à Croix-Molignaux dans la Somme. Il cultive la moitié de la surface en blé et a divisé le reste en trois blocs de 20 ha. Un en betteraves pour Cristal Union, un en légumes pour Bonduelle et en autre en pommes de terre. Le jeune agriculteur modifie rapidement son système. Il remplace les pommes de terre fécule par de la consommation. Il introduit le lin textile. Et il installe l’irrigation. Pour optimiser l’efficacité, il développe l’entraide avec un cousin et rejoint une Cuma.

L’exploitant se fixe aussi comme objectif l’amélioration de la qualité de son sol, pauvre en matière organique (1,6 à 1,8 %). « Je restitue au sol tout ce qui peut l’être (paille, résidus…) », insiste-t-il.

Autre changement, la diminution du labour. « Cela me semble peu naturel de mettre la terre du dessous dessus », justifie-t-il. Alors que son père labourait tous les deux ans environ, il maintient la charrue uniquement avant la plantation de pommes de terre et parfois les semis des derniers blés de betteraves.

Du matériel large avec la Cuma

« J’ai commencé le travail cultural simplifié (TCS) avec les betteraves. Une destruction des couverts avec deux passages de déchaumeur à disques et une reprise avec un outil à dents (Condor de Religieux en 4 m ). Et cela a fonctionné. J’ai recommencé l’année suivante et poursuivi avec les légumes et le lin », précise le planteur.

La Cuma lui permet de limiter les investissements et de disposer de matériel récent à grand débit de chantier. Comme le semoir à semis direct Amazone de 12 m pour les couverts, le broyeur frontal de 8 m ou encore le chisel de 5 m. « Je gagne un peu de temps l’hiver, mais les créneaux d’intervention sont difficiles à saisir », prévient l’exploitant.

Des couverts optimisés

Clément Brunel sème ses couverts dans les quatre jours suivant la moisson au semoir à dents en 12 mètres. Objectif : garder la fraîcheur et profiter des jours longs. Les légumineuses représentent plus de 50 % du couvert (vesce, pois de printemps, fénugrec, trèfle), complétées par du tournesol et des graminées (avoine). Broyés, les couverts sont laissés sur le sol. Les graminées assurent une couverture permanente l’hiver. En janvier, l’agriculteur passe le chisel, avant d’appliquer du glyphosate en février. De quoi implanter une culture sur un sol propre.

Partager les surcoûts liés à la transition

Reste que cette transition agroécologique a un surcoût et comporte de nombreux risques (limaces, retard de levée, réservoirs de maladies ou d’adventices). L’augmentation des densités de semis et la complexification des couverts augmentent les charges. Les cultures patinent parfois au démarrage, se salissent plus vite avec des incidences parfois sur le rendement. Sans oublier le surcoût des investissements matériels, des engrais organiques… « Ces surcoûts et la prise de risque devraient être estimés par nos instances professionnelles », suggère Clément Brunel.

La recherche de 30 agriculteurs pionniers en agriculture régénératrice par l’agence de l’eau Artois-Picardie (complétés bientôt par 70) est tombée à pic. Organisé sur quatre bassins de captage et coordonné par l’association PADV (pour une agriculture du vivant), l’objectif vise la réduction des pollutions. Les agriculteurs s’engagent pour 5 ans dans des mesures incitatives avec des paiements pour services environnementaux (PSE).

PADV calcule un indice de régénération, IR, avec un score entre 0 et 100. Plus de la moitié de l’indice se rapporte au travail du sol et au taux de matière organique (taux et durée de couverture du sol, nombre de passages d’outils…). Le reste concerne les infrastructures agroécologiques (haies, bosquets, mares,…) et les IFT hors légumes. « Avec un score proche de 46, j’obtiens une bonne note pour un débutant », constate l’agriculteur.

Une prime est accordée selon l’évolution de l’IR et le niveau d’expertise de l’agriculteur. La prime varie de 30 à 85 €/ha si l’agriculteur maintient ou améliore son IR. Aucune pénalité ne s’applique en cas de non-respect. Ces primes sont complétées par des primes filières dans le cadre de Covalo. Bonduelle et Cristal Union, avec son offre RegAG, y participent (voir BF N° 1202). « Je ne connais pas encore le montant de ces primes filière qui vont dépendre de la valorisation des produits en agriculture régénérative, regrette l’exploitant. J’espère qu’elles vont couvrir une partie des risques et du temps consacré. Soit près de sept jours entre les audits, formations, accompagnement, restitution des données la première année ».

Pour améliorer le score de son indice de régénération, Clément vise des gros couverts d’été derrière légumes, l’introduction de couverts entre le lin et le blé. Il testera si possible le semis direct en blé et augmentera ses engrais organiques. Il espère aussi apprendre sur la physique et la biologie de son sol, et développer plus de finesse dans le pilotage des apports d’engrais et oligoéléments.