La rencontre des trois présidents du monde betteravier le 4 septembre dernier, a aussi été l’occasion d’évoquer le sujet de la pulpe, qu’Olivier de Bohan a décrit comme « passionnel ». D’ailleurs, à l’issue de la conférence, la salle a concentré toutes ses questions sur ce sujet.

L’élevage, qui était historiquement le seul utilisateur de pulpe, a vu ou voit arriver de nouveaux clients sur ce marché. En effet, les nombreux méthaniseurs qui se sont développés ont basé une partie de leur approvisionnement sur la pulpe. Une demande « exponentielle », selon Olivier de Bohan. Enfin, une grosse partie des planteurs ne sont ni éleveurs ni méthaniseurs, mais sont quand même attentifs à la valorisation de leurs betteraves.

Par ailleurs, cette matière première est l’une des sources d’énergie potentielle pour la stratégie de décarbonation dans laquelle les sucreries sont en train de s’engager. Si Cristal Union envisage d’auto-consommer une partie de ses pulpes pour faire tourner ses sucreries, Tereos s’y refuse pour les consacrer uniquement à l’élevage et à la méthanisation. En effet, pour la campagne 2023/2024, une petite partie des coopérateurs (7 % des éleveurs et 20 % des méthaniseurs) ne pourront pas être livrés à 100 % de leurs besoins. À noter qu’il s’agit exclusivement d’agriculteurs qui commandent au-delà de 8 fois l’équivalent en pulpe de leur tonnage en betterave. Par ailleurs, la coopérative envisage de prioriser ses adhérents : « on a dû annoncer à nos clients éleveurs qui nous achetaient historiquement de la pulpe mais qui ne produisaient pas de betterave que, dans 3 ans, on ne serait plus capables de les livrer », a expliqué Émilien Rose en précisant avoir proposé à ces agriculteurs de devenir coopérateurs. Par ailleurs, il a rappelé l’arrêt de la déshydratation de Chevières et a annoncé « projeter d’en arrêter 2 autres », malgré un marché de la pulpe déshydraté très porteur. Chez Cristal Union, « il y aura de la pulpe pour tous nos adhérents, éleveurs comme méthaniseurs. Après, dire à quelle hauteur ? Parce qu’il y a des endroits où il y a des consommations significatives, que ce soit en élevage ou en méthanisation », a expliqué Olivier de Bohan.

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La pulpe doit-elle maintenant être orientée vers l’élevage ou la méthanisation ? Pour Franck Sander, il ne faut pas « opposer les modèles » et adapter les stratégies en fonction des zones de production. « Chaque région doit pouvoir adapter sa politique à ses besoins ». Cependant, Émilien Rose a nuancé ce propos : « on a réussi à unifier l’ensemble de nos coopérateurs autour de règles communes. Cela a été un long combat. Le but n’est pas de revenir en arrière et de faire des règles différentes ». Quoi qu’il en soit, Franck Sander a appelé à une transparence sur la valeur de la pulpe : « il faut que l’agriculteur qui souhaite récupérer sa pulpe puisse connaître sa valeur ».

Qui va payer la décarbonation ?

La décarbonation à laquelle sont confrontées les sucreries va coûter très cher : plusieurs centaines de millions d’euros, selon Olivier de Bohan. Les deux coopératives ont annoncé de lourds investissements. « Cela fait 10 ans que l’on travaille sur le sujet, a affirmé le président de Cristal Union. On investit 60 millions d’euros dans nos usines tous les ans. Maintenant, il faut qu’on aille encore plus loin. On a réduit de 15 % nos émissions de CO2 et de 8 % notre consommation énergétique sur les 10 dernières années », précise-t-il en annonçant que Cristal Union projette de rendre la sucrerie d’Arcis-sur-Aube neutre en carbone à l’horizon 2030. Même écho chez Tereos qui annonce de gros investissements : un programme de 500 millions sur 8 ans, spécialement dédié à la décarbonation. Émilien Rose précise qu’à côté de ces investissements spécifiques, les montants alloués tous les ans à l’amélioration des outils industriels bénéficient aussi à la décarbonation.

Alors, qui va payer ? Un peu tout le monde pour Émilien Rose comme pour Olivier de Bohan. Pour Franck Sander, les frais doivent être payés par le cours du sucre ou par la vente de crédit carbone : « le marché du sucre n’est, à mon sens, pas suffisamment protégé, et la décarbonation n’est pas un sujet dans tous les pays », estime-t-il en demandant des clauses miroirs. « À partir du moment où on demande la décarbonation à nos entreprises ou à l’agriculture, il faut qu’on puisse la valoriser. Soit par le prix du sucre, soit dans un marché parallèle », affirme-t-il. Olivier de Bohan demande un accompagnement financier significatif de l’État, ainsi qu’une réglementation pérenne sur une durée supérieure à « un mandat de 5 ans ». Les deux sucriers faisant partie de la liste des 50 plus gros émetteurs de gaz à effet de serre convoqués récemment par le président de la République, devraient être soutenus dans leurs investissements. La question est maintenant de savoir à quelle hauteur.

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