Stratégie des traitements fongicides sur les variétés très tolérantes
L’année 2024, marquée par une forte pression de cercosporiose, a confirmé que le choix variétal est le premier critère de lutte contre la maladie. Les nouvelles variétés très tolérantes obtiennent une bonne productivité lorsqu’elles sont protégées avec un programme fongicide. C’est ce que montre l’essai ITB réalisé dans le Loiret en 2024 où deux niveaux de tolérance ont été comparés. Pour la variété très tolérante (en vert sur la figure 1), les trois traitements fongicides ont permis un net gain de productivité (environ 20 tonnes par hectare). Par contre, pour la variété tolérante (en bleu sur la figure) le gain de productivité est faible avec trois traitements fongicides (environ 4 tonnes par hectare). Dans cet essai réalisé dans le Loiret, la gravité de la maladie était de 9 sur 10 (soit 90 % du feuillage touché par la cercosporiose) fin septembre pour les deux variétés dans les parcelles sans traitement fongicide. La récolte a eu lieu le 24 octobre. Ces nouveaux hybrides, très tolérants à la maladie, limitent la reprise de la cercosporiose à l’automne et valorisent les traitements fongicides. L’essai était situé dans un secteur de très forte pression de cercosporiose, les variétés tolérantes restent de bonnes alternatives pour des pressions de maladie plus modérées.
Produits efficaces contre les maladies fongiques
Pour la première année, en 2025, l’utilisation du produit Propulse (second nom commercial : Yearling) sera possible dès les premiers traitements (il a obtenu une autorisation de mise sur le marché en août 2024). Cette spécialité obtient de bonnes performances contre la cercosporiose. Elle est constituée de 125 g/l de prothioconazole (nouvelle molécule triazole pour la betterave) et de 125 g/l de fluopyram (nouvelle substance active de la famille des SDHI). La dose d’homologation est de 1,2 l/ha et deux applications sont possibles. L’intervalle minimum entre 2 applications est de 21 jours. Pour des questions de durabilité et de résistance, l’ITB conseille d’utiliser cette spécialité à la pleine dose d’homologation.
Les produits les plus performants pour lutter contre la cercosporiose sont à retrouver sur la figure 2. Si l’on considère les produits seuls, l’Airone SC (1) est le plus efficace. Il est suivi des spécialités Propulse à 1,2 l/ha et Spyrale à 1 l/ha. L’utilisation de produits à base de strobilurine (Amistar Gold) ou de triazole utilisée en solo (Timbal EW, Belanty ou Passerelle) est à proscrire.
L’oïdium et la rouille peuvent également être présentes. L’ensemble des conseils de l’ITB sont à retrouver dans le Pense-Betterave, disponible gratuitement sur itbfr.org (rubrique « Publications ») et accessible à l’aide du QR code ci-contre.
L’ITB conduit, chaque année, des essais comparatifs des spécialités fongicides homologuées sur betterave afin de mieux connaître leurs performances contre les maladies du feuillage (figure 3). Les résultats proviennent des essais dont le témoin non traité a obtenu une gravité supérieure à 6 sur 10.
Pour avoir une bonne protection sanitaire jusqu’à la récolte, il est indispensable de coupler programme fongicide performant et semis d’une variété tolérante aux maladies du feuillage. Dans tous les cas, il convient de consulter l’Outil d’aide à la décision (OAD) Alerte Maladies et d’observer ces parcelles avant tout traitement.
Utilisation du produit Airone SC (1)
Pour cette campagne 2025 et afin de lutter contre la cercosporiose, l’ITB a obtenu une dérogation 120 jours afin de pouvoir utiliser l’Airone SC (1) sur la culture de la betterave industrielle. Ce produit est la seule spécialité à base de cuivre autorisée sur la culture pour cette campagne. Il permet, en mélange avec un produit traditionnel à base de triazole, d’améliorer l’efficacité des traitements contre la cercosporiose (figure 4).
Comme en 2023, les résultats des essais ITB de 2024 mettent en évidence l’efficacité de l’apport de ce produit comparativement à une référence traditionnelle.
Les résultats d’un essai dans le Loiret (figure 5) montrent une réduction significative de la gravité de la maladie avec l’ajout de 2,75 l/ha d’Airone SC (1) en mélange avec Spyrale 1 l/ha (en violet sur la figure). En orange, au centre de la figure, la modalité avec uniquement le Spyrale n’a réduit que partiellement la maladie. La gravité représente le pourcentage de la surface foliaire de la parcelle atteinte par la maladie. La maladie a profité du climat chaud et humide de 2024 pour se développer en fin d’été.
D’un point de vue réglementaire, l’approbation des composés à base de cuivre a été renouvelée par la Commission européenne en 2018 pour une durée de 7 ans. Aujourd’hui, le renouvellement de l’homologation de la molécule de cuivre, au niveau européen, est toujours en cours. La procédure a pris du retard et ne pourra vraisemblablement pas se conclure fin 2025 comme initialement prévu. La réponse de l’administration française sur la demande d’homologation du produit sur betterave devrait suivre.
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(1) Le produit Airone SC à base d’hydroxyde et d’oxychlorure de cuivre a obtenu pour la betterave industrielle une dérogation 120 jours du 1er juin au 29 septembre 2025.
(2) Pour les sols artificiellement drainés, l’autorisation du Spyrale est limitée à 0,9 l/ha avec un seul passage par an (ZNT 20 m et DVP 5 m).
Témoignage d’expert : Séverine Fontaine, chargée d’expertise scientifique et technique à l’ANSES (Agence nationale de la sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail)
Sur quoi travaille votre laboratoire ?
L’Unité Sous Contrat « caractérisation et suivi des phénomènes d’évolution des résistances » aux produits de protection des plantes (USC CASPER) étudie les résistances aux produits de protection des plantes (PPP) chez les bioagresseurs des cultures (insectes, champignons phytopathogènes, adventices). L’USC CASPER fait partie du laboratoire de l’ANSES à Lyon. C’est également une plateforme commune à l’Anses et à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) pour l’étude et la recherche sur les phénomènes de résistance aux PPP.
L’étude des résistances à l’USC CASPER repose sur deux grands types de méthodes d’analyse de laboratoire des tests biologiques ou des tests de biologie moléculaire.
Quels essais menez-vous sur la cercosporiose ?
L’USC CASPER travaille sur la cercosporiose de la betterave depuis 2018. Les premiers travaux ont été réalisés dans le cadre de « Recife », mené par l’ITB, INRAE et l’ANSES. Ce projet a permis de réaliser un état des lieux des résistances chez l’agent phytopathogène (Cercospora beticola), à différents fongicides, dont les triazoles. Chez C. beticola, la résistance aux triazoles est complexe et repose sur divers mécanismes. Plusieurs mutations connues pour être impliquées dans une baisse de sensibilité aux triazoles ont été identifiées dans les populations françaises du pathogène. La résistance aux triazoles liée à ces mutations est considérée comme croisée partiellement entre les différentes substances actives triazoles, c’est-à-dire que pour une mutation, le niveau de résistance à différentes triazoles est variable.
Les travaux menés actuellement avec l’ITB, dans le cadre d’essais d’efficacité, visent à suivre l’évolution dans le temps des différentes mutations impliquées dans la résistance aux triazoles en tenant compte de l’inoculum présent au moment du traitement. Ce suivi permettra d’évaluer si certaines mutations sont sélectionnées ou contre-sélectionnées en fonction des substances actives appliquées.
Quels conseils donneriez-vous aux planteurs de betteraves afin de limiter l’impact des résistances sur les performances des traitements ?
C’est une question complexe. Idéalement et lorsque l’efficacité d’une substance active est affectée, il faudrait stopper l’utilisation de la substance active concernée. Cela n’est évidemment pas toujours possible ou réaliste. Il est toutefois recommandé de diversifier au maximum les méthodes de lutte, afin de réduire la pression de sélection exercée par une substance active et ainsi ralentir l’évolution des phénomènes de résistance. Dans le cas de la cercosporiose, l’utilisation de variétés tolérantes est un levier important et intéressant à mobiliser. Pour limiter la pression de sélection exercée par les traitements fongicides, il convient d’alterner les modes d’action appliqués. Pour les triazoles, compte tenu de la multiplicité des mutations et de la diversité des phénotypes résistants observés au sein des populations, il est important de ne pas les appliquer seuls et d’exploiter leur diversité en alternant les différentes substances actives entre les traitements.