En 2024, les distributeurs agricoles ne commercialiseront pas de nouvelles substances actives fongicides, conventionnelles ou de biocontrôle. Selon Jérôme Thibierge, ingénieur du pôle maladies et méthodes de lutte chez Arvalis, la nouveauté 2024 se compose de 12 nouvelles offres : des formulations prêtes à l’emploi et des packs. Le temps nécessaire à l’évaluation européenne explique en grande partie la difficulté à disposer d’innovations.

Si le flux des produits entrants apparaît au point mort, il pourrait reprendre, au mieux, en 2025 avec sept dossiers en attente de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) et trois autres espérés à partir de 2026.

Offre fongicide 2024 construite pour gérer les résistances

Néanmoins, Jérôme Thibierge juge la nouvelle offre de fongicides pour la campagne 2024, « bien construite car elle va dans le sens de la gestion de la résistance des souches de septoriose ». Ajoutant que cet enjeu reste le premier point de vigilance lors du raisonnement de la stratégie de protection des céréales contre les maladies foliaires afin de préserver l’efficacité des modes d’action chimiques. La perte d’efficacité des fongicides des familles SDHI et IDM se confirme.

En moyenne, 41 % des souches de septoriose analysées à partir des échantillons prélevés dans les essais du réseau Performance (22 partenaires et 30 essais) sont résistantes aux SDHI contre 30 % en 2021. Parmi cette fraction, 22 % sont même devenues très résistantes. Par ailleurs, la résistance aux triazoles (IDM) se généralise avec la disparition des souches sensibles à cette famille chimique. Les plus résistantes concernent 63 % des populations.

Pour l’expert, la règle d’or de l’alternance des familles chimiques reste plus que jamais d’actualité avec une seule application par campagne de SDHI, Qol, QiI et triazoles. « Nous voulons éviter la même situation qu’en Grande-Bretagne où des doubles applications de SDHI ont conduit à une gestion difficile de la septoriose », souligne Jérôme Thibierge.

Prophylaxie et biocontrôle en T1

En complément, l’expert insiste sur le rôle des mesures prophylactiques pour diminuer l’inoculum : enfouissement des résidus de paille, gestion des repousses de céréales dans l’interculture. On peut aussi citer une combinaison de leviers agronomiques qui intègre le décalage de la date de semis et le choix de variétés tolérantes à la septoriose.

Ce dernier levier permet, en situation de risque faible à modéré détecté par les outils d’aide la décision incluant le modèle Septo-Lis, de se passer du T1.

Quant au biocontrôle, outre la réduction de l’indicateur de fréquence de traitement (IFT), il est aussi considéré comme un moyen de gestion de la résistance des fongicides conventionnels, en raison du mode d’action multisite des substances actives homologuées.

En T1, au stade 1 nœud, la synthèse pluriannuelle des essais menés par Arvalis confirme l’efficacité des solutions de biocontrôle composées de phosphonates de potassium. Aquicine Duo (soufre 1200 g + phosphonates de potassium 600 g) à 2l/ha en T1 avec Kardix en T2 donne 58 % d’efficacité, soit 16 points de plus que le programme Kardix sans T1.

Pygmalion (phosphonates de potassium 1 510 g) 2 l/ha + velours (soufre 1400 g/ha) apporte 68 % d’efficacité, soit 14 points de plus que Kardix. Arvalis recommande de la prudence pour une utilisation de ces solutions en T2, à un moment clé où le maintien d’une feuille saine est décisif pour le rendement.

Fenpicoxamide en association avec une SDHI en T2

Au stade dernière feuille étalée, Arvalis atteste de l’efficacité des associations de produits, avec notamment une alternative aux triazoles et SDHI : le fenpicoxamide. Commercialisé depuis 2022 sous le nom de Questar et Univoq par Corteva (marque Inatreq), aussi disponible en 2024 dans la gamme Bayer (Jessico One), cette substance active est la seule représentante de la famille des Qil.

Elle a donc été moins sollicitée. Dans les essais du réseau Performance, le fenpicoxamide livre 66 % d’efficacité contre 59 % en moyenne pour une association SDHI + triazole.

Mesure de précaution oblige, le fenpicoxamide doit toujours être associé avec l’une de ces deux familles chimiques. Ainsi, dans la synthèse de trois essais trisannuels d’Arvalis conduits de 2021 à 2023, la modalité Questar 1,1 l + Elatus Plus (benzovindiflupyr) 0,55 l se distingue avec 68 % d’efficacité. Elle devance de 11 points Kardix (+2,4 q/ha) et de 15 points Elatus Era (+3,2 q/ha).

Dans ce groupe d’essais, Revystar XL 0,75 l/ha et Zoom (0,75 l/ha) composés de mefentrifluconazole + fluxapyroxad apportent respectivement 64 % et 67 % d’efficacité en moyenne sur trois ans et 60 % en 2023, un résultat intermédiaire derrière les associations avec de la fenpicoxamide. Le programme Silvron (bixafen + fluopyram) 0,55 l + Madison (prothioconazole + trifloxystrobine) 0,625 l de neuf autres essais 2021-2023 se traduit par une efficacité de 60 % équivalente à celle de Revystar XL 0,75 l/ha.

Dans ce même regroupement, une efficacité de 75 % est notée pour le programme Silvron + Jessico One.

Les essais d’Arvalis visent aussi à acquérir des références sur l’efficacité de nouveautés en cours de développement. Une formulation composée de pydiflumetofen et de prothioconazole se classe en tête des résultats avec jusqu’à 81 % d’efficacité. Ce fongicide de Syngenta est espéré en 2026.

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*Nuisibilité : écart entre le rendement de la meilleure modalité protégée et le rendement du témoin sans fongicide.

Fongicides céréales en 2024, le point sur l’évolution de l’offre

Des accords entre firmes ont pour objectif de développer des solutions déjà existantes. Ainsi, cinq autorisations de mise sur le marché ont été délivrées en 2023 pour un usage sur cette campagne. Bayer lance Silvron, une association de deux SDHI (bixafen + fluopryram).

Du côté des IDM (triazoles), Syngenta propose Greteg composé de difénoconazole ainsi qu’une formulation à base de prothioconazole. UPL commercialise Zoxis Néo, formulé avec une strobilurine, l’azoxystrobine.

Life Scientific présente LS Pyrac à base de pyraclostrobine, une strobilurine de la famille des Qol due à la fin de protection de la propriété du Comet 200 de BASF.

Les accords entre entreprises concernent aussi des fongicides commercialisés en packs. Le bromuconazole 300 g/l contenu dans Wasan de Philagro rejoint la gamme de Bayer (Akonpli) et celle de Syngenta (Ninevi). La pyraclostrobine de Comet 200 de BASF est proposée par Bayer sous la marque Quibilium.

L’entreprise récupère aussi le fenpicoxamide de Corteva (Questar), formulé à 50 g/l sous le nom Jessico One. Le folpel de Sesto d’Adama intègre la gamme de Syngenta sous marque Mirror.

En biocontrôle, lancement d’une nouvelle spécialité Aquicine Duo de Syngenta, une formulation prête à l’emploi de phosphonates de potassium (300 g/l) et de soufre (600 g/l). Dans le cadre des substances de base, Adama se positionne avec Charge, un chlorhydrate de chitosane.

Rouille brune, programme avec 82 % d’efficacité

Contre la rouille brune, trois essais effectués en 2022 et reconduits en 2023, donnent une bonne efficacité (82 %) avec l’association Univoq 1,2 l/ha + Amistar 0,4 l/ha (fenpicoxamide 60 g + prothioconazole 120 g + azoxystrobine 100 g). Dans un regroupement de cinq essais 2021-2023, les solutions Revystar XL 0,9 l/ha et Zoom 0,9 l/ha montrent une efficacité équivalente, à hauteur de 83%.

Comet renforce l’efficacité de Revystar XL à 89 % et de de Zoom à 88 % avec, dans chaque cas, un gain de 2 q/ha.

Faute de pression suffisante en rouille jaune, Arvalis ne présente pas de résultats. Néanmoins cette maladie est à surveiller et peut nécessiter une intervention précoce spécifique, avec une triazole associée à une strobilurine par exemple.