Après une longue période de croissance régulière, les rendements de la betterave sucrière n’augmentent plus depuis 2018. La tendance serait même à la décroissance. C’est sur ce constat que s’est ouverte l’assemblée générale de la CGB le jeudi 7 décembre à Reims. Pourquoi ? Selon Alexandre Quillet, le président de l’ITB, les raisons sont multiples : sécheresses (6 fois sur les 9 dernières années), gelée tardive en 2021 et 2022, augmentation de la pression des bioagresseurs, comme le puceron, le charançon ou la cercosporiose qui progressent et enfin, diminution de la disponibilité des moyens pour les traiter.

Pourtant, l’effort dans la recherche n’a pas diminué, explique François Desprez, vice-président de Semae, l’interprofession des semences et plants et président de Florimond Desprez. « La betterave sucrière est même l’espèce qui bénéficie de l’investissement le plus fort en matière de sélection, rapporté au nombre d’hectare cultivés ».

Pour le cas précis de l’année 2023, la CGB prévoit un rendement moyen qui s’établira autour de 83 t/ha, dû notamment à des richesses très faibles. Alexandre Quillet explique cette situation par « une explosion nationale de la cercosporiose », par une minéralisation de fin de printemps et d’été plus importante que d’habitude (excès d’azote non maîtrisable), ainsi que par des températures nocturnes trop chaudes, entre le 1er septembre et le 15 octobre, lesquelles ont entraîné un excès de respiration des plantes, et donc une consommation de saccharose.

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Quels moyens de lutte contre la jaunisse pour 2024 ?

« Contre la jaunisse, nous n’avons pas de solution opérationnelle pour la campagne 2024 », a affirmé Alexandre Quillet qui précise que la lutte contre ce virus se limite pour l’instant à l’utilisation du Teppeki et du Movento. Le Movento est actuellement utilisable grâce à une dérogation, mais son utilisation après 2024 n’est pas encore acquise. Le président de l’ITB a aussi évoqué l’Axalion, un nouvel insecticide de BASF qui devrait arriver sur le marché en 2026.

Le Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) a quand même permis de mettre en évidence trois pistes prometteuses qui fonctionnent en laboratoire, mais dont l’efficacité en plein champ est plus aléatoire : les plantes compagnes qui perturbent visuellement et olfactivement les pucerons, le champignon Lécanicillium muscarium dont le mycélium rentre dans le puceron pour le détruire, et les composés organiques volatils (odeurs) qui repoussent les pucerons ou attirent les auxiliaires.

Pour l’heure, l’ITB continue la recherche et l’expérimentation grâce, notamment, au PNRI 2 qui se penchera particulièrement sur les outils de prévision d’apparition et de pression des pucerons, sur la gestion des réservoirs viraux et sur les produits de biocontrôle. Il reposera en grande partie sur le réseau des fermes pilotes expérimentales pour tester des combinaisons de solutions en conditions naturelles.

Qu’en est-il du levier variétal ? Si L’ITB publiera son évaluation dans le prochain Betteravier français, François Desprez a déjà donné son analyse : « en cas de jaunisse modérée, les variétés les plus performantes demeurent les variétés standards ». En effet, les variétés dites « jaunisse » ont un potentiel de rendement inférieur de 15 % aux variétés standards en l’absence de jaunisse, explique-t-il. Et Fabien Hamot, membre du bureau de la CGB et président de la délégation de la Somme, de faire remarquer : « 15 % de betteraves en moins, c’est énorme. Quand on voit l’augmentation de nos coûts de production, cela ne laisse pas beaucoup la place à une baisse de rendement ».

En revanche, selon François Desprez, « quand on est dans une situation de jaunisse très sévère, les variétés jaunisse disponibles pour le printemps prochain limitent les pertes de rendement à 20 %, alors que les variétés standards ont une perte de rendement qui va de 35 % à 50 % ». Quoi qu’il en soit, il va encore falloir attendre quelques années pour que la génétique apporte une réponse à la jaunisse. François Desprez estime que l’écart de rendement entre les variétés standards et les variétés dites « jaunisse » sera comblé en 2027.

« Les variétés résistantes, ce n’est pas avant 2026. Les méthodes de lutte alternatives ne sont pas encore au point. En tant que planteur, je ne suis pas rassuré », avoue Fabien Hamot en évoquant les prochaines campagnes de betteraves. « Mais en tant qu’élu de la CGB, nous allons faire le maximum pour garder toutes les solutions phyto qui sont aujourd’hui nécessaires pour maintenir le rendement de la betterave », a affirmé Fabien Hamot en se tournant vers Loïc Agnès, le représentant du ministère de l’agriculture.

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La stratégie anti-cercosporiose

La jaunisse n’est pas la seule maladie. Alexandre Quillet a rappelé la stratégie de lutte contre la cercosporiose, qui a connu un fort développement en 2023. Elle se compose de 4 recommandations.

La première, c’est de choisir une variété tolérante à la maladie, surtout pour les betteraves arrachées tardivement. Pour rappel, une variété est dite tolérante quand son indice de tolérance est supérieur à 1. Vous trouverez cette information dans les graphiques présentés dans le Betteravier français spécial semences 2023.

Deuxièmement, dans les zones où le risque est particulièrement avéré, comme en Alsace par exemple, Alexandre Quillet recommande de choisir des variétés dites « cerco+ », c’est-à-dire celles dont l’indice est supérieur à 2.

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Troisièmement, la cercosporiose doit aussi être combattue avec l’Airone, « le seul produit cuivre qui ait obtenu une dérogation ».

Enfin, le président de l’ITB recommande d’alterner les substances actives des fongicides utilisés pour prévenir l’apparition de résistance ; il précise que « si le fongicide de synthèse qui fonctionne le mieux est le Spyrale (association de triazole et de pipéridine), les autres triazoles sont moins performantes utilisées en solo, mais le redeviennent autant si elles sont couplées avec du cuivre ».

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Côté désherbage, Séverine Jeanneau, la responsable filière et développement durable chez Corteva, a rappelé l’arrivée prochaine d’un nouveau désherbant betterave qu’elle a présenté en juin dernier. Composé de florpyrauxifen-benzyle, il est destiné à lutter notamment contre les chénopodes, les ombellifères et les mercuriales. Il a l’avantage d’appartenir à une nouvelle famille chimique. La matière active est autorisée au niveau européen. Le produit devrait être homologué en France en 2025 ou 2026, en fonction de la durée du traitement du dossier. « Un produit qui n’augmentera pas le coût du programme de désherbage des betteraves », affirme Séverine Jeanneau, et dont l’ITB confirme l’efficacité. Elle a aussi annoncé l’arrivée d’un nouveau fongicide à moyen terme pour lutter contre la cercosporiose.

Les pouvoirs publics interpellés sur les produits phytosanitaires

Malgré cette bonne nouvelle pour la filière mais aussi malgré le rejet du règlement Sur au niveau européen, l’inquiétude et l’agacement des planteurs sur la question de l’usage des produits phytosanitaires étaient bien palpables. Fabien Hamot a interpellé Loïc Agnès, également présent à Reims, sur l’interdiction française de l’acétamipride et de la flupyradifurone (néonicotinoïdes foliaires ou assimilés), molécules autorisées par la plupart des autres pays betteraviers de l’Union européenne. « Ça, pardon, si ce n’est pas une surtransposition, c’est au moins une distorsion de concurrence. Ce n’est pas normal ».

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Loïc Agnès a répondu en rappelant qu’Elisabeth Borne avait annoncé, en février dernier au salon de l’agriculture, l’arrêt des surtranspositions par rapport au droit européen. Une réponse qui peut étonner quand on connaît les surtranspositions de ces dix derniers mois, en particulier sur le prosulfocarbe ou sur le S-métolachlore. Plus profondément, on peut aussi s’étonner que le gouvernement s’engage sur une compétence, à savoir l’homologation des produits phytosanitaires, qu’il n’a plus depuis 2015 et qu’il ne semble pas envisager de récupérer. Par ailleurs, Alexandre Quillet a demandé à Loïc Agnès que « la voix de la France au niveau européen ne soit pas celle qui est la première à vouloir interdire des matières actives ».

Le président de l’ITB a aussi fait part de son inquiétude concernant le plan d’anticipation du retrait des molécules (Parsara), qui inquiète également la filière des oléoprotéagineux, de même qu’au sujet du plan écophyto 2030 qui prévoit une baisse de 50 % de l’usage des phytosanitaires. Loïc Agnès a attesté que l’objectif du gouvernement n’était pas le zéro phyto et que les alternatives, chimiques comme non chimiques, étaient envisagées dans le plan de réduction des phytos. Affaire à suivre. À noter que l’intégralité des questions que les invités ont pu poser à la fin de la table ronde ont concerné les phytosanitaires et se sont adressées au représentant de l’État.

Parmi les autres sujets évoqués, on peut trouver les variétés Smart ou les NGT. Loïc Agnès a précisé que le ministre de l’Agriculture soutenait la séparation entre les NGT-1 et les NGT-2, proposée par la commission européenne. À noter que, selon Loïc Agnès, les variétés tolérantes aux herbicides resteraient dans la deuxième catégorie car elles peuvent entraîner des résistances et ne vont pas dans le sens de la réduction de la dépendance aux phytos. Une affirmation qui peut interroger quand on connaît la réduction de l’IFT permise par l’adoption de la technologie Conviso Smart.

Renaud d’Hardivilliers

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