C’est un véritable coup de massue pour la filière betterave sucre et pour toute l’agriculture en général. Le 19 janvier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé illégales les dérogations octroyées à des produits phytosanitaires interdits, lorsque ceux-ci sont appliqués en traitement préventif des semences, comme c’est le cas pour les néonicotinoïdes sur la betterave. « Les États membres ne peuvent pas déroger aux interdictions expresses de mise sur le marché et d’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes », déclare la CJUE.

Cela veut dire que le gouvernement ne pourrait pas prendre de dérogation pour les semis 2023, alors qu’un arrêté de dérogation était attendu après la consultation publique qui se déroule actuellement jusqu’au 24 janvier. Par ailleurs, le Conseil de surveillance qui devait se prononcer le 20 janvier a reporté sa réunion au 26 janvier. « Le Gouvernement utilisera le délai permis par ce report pour expertiser les conséquences juridiques de cette décision en droit français et les conséquences pour la campagne de production qui s’ouvre », indique un communiqué du ministère de l’Agriculture.

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La filière en danger selon la CGB

La Confédération Générale des planteurs de Betteraves (CGB) s’insurge contre cette décision de la Cour de justice qui met toute une filière en danger. « La brutalité d’une telle décision, appliquée en l’état, risque d’entrainer des conséquences désastreuses et irréversibles dans nos territoires ruraux alors même que les politiques encouragent la souveraineté alimentaire, énergétique et la réindustrialisation de la France », estime le syndicat.

« A seulement quelques semaines des semis de betteraves, on ne peut pas envisager de rester dans l’impasse face aux virus dévastateurs de la jaunisse. Alors même que le Plan National de Recherche et d’Innovation (PNRI) n’apporte pas encore d’alternatives aux néonicotinoïdes, déployables en 2023, nous demandons au Gouvernement français d’apporter des solutions à notre filière. Il est urgent de trouver des réponses adaptées pour permettre aux 23 700 betteraviers de continuer à cultiver de la betterave et fournir aux 67 millions de français le sucre, le bioéthanol et le gel hydroalcoolique dont ils ont besoin chaque jour », déclare Franck Sander, président de la CGB. « Cette décision met les agriculteurs et les industriels de la filière dans une très grande difficulté. L’interprofession regrette cette décision et est mobilisée pour analyser dans ce nouveau contexte toutes solutions palliatives à l’aube des semis de la campagne 2023- 2024 », ajoute Alain Carré, président de l’Association Interprofessionnelle de la Betterave et du Sucre (AIBS).

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Comment en est-on arrivé là ? En fait, il s’agit de l’aboutissement d’une procédure engagée auprès de la CJUE par le Conseil d’État belge, suite au recours de deux associations « de lutte contre les pesticides et de promotion de la biodiversité » ainsi que d’un apiculteur. La Belgique avait attribué des dérogations d’utilisation de néonicotinoïdes en 2018, en invoquant le régime dérogatoire et temporaire inscrit à l’article 53, paragraphe 1, du règlement n°1107/2009.

Dans son arrêt, la Cour relève bien que les États membres, dans des circonstances exceptionnelles, peuvent « autoriser des produits phytopharmaceutiques ne satisfaisant pas aux conditions prévues » par le règlement européen. « Toutefois, s’agissant des semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des substances interdites expressément, elle considère que, par cette disposition, le législateur n’a pas entendu permettre aux États membres de déroger à une telle interdiction expresse », juge la Cour européenne, dont les arrêts s’imposent aux juridictions nationales de tous les pays de l’UE.

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